musicologie

12 janvier 2024 —— Michaël Sebaoun.

Rachmaninov par lui-même...

Rachmaninov par lui-même. Réflexions et souvenirs d’un maître du piano. Buchet Chastel, Paris 2022 [192 p. ; ISBN 978-2-283-03296-1 ; 15 €].

Rachmaninov, Réflexions et souvenirs, parus en 2018 chez Buchet Chastel, ont fait l’objet d’une réédition en 2022 chez le même éditeur sous le titre Rachmaninov par lui-même, réflexions et souvenir d’un maître du piano.

Le livre rassemble des articles du compositeur, publiés dans des journaux entre 1910 et 1943 en anglais ou en russe, et dont l’édition de 2018 présentait pour la première fois une traduction française.

Rachmaninov y relate des souvenirs de jeunesse, revenant régulièrement sur le soutien que lui apporta Tchaïkovski au début de sa carrière, soutien qui lui permet de faire représenter son premier opéra Alekoau Théâtre impérial du Bolchoï à l’âge de vingt ans. Il fut d’ailleurs engagé par ce même théâtre pendant deux saisons en tant que chef d’orchestre du répertoire russe, avant de démissionner en 1906, pour s’isoler et se consacrer à la composition…

Œuvre de jeunesse également, le célèbre orélude en do dièse mineur, inspiré autant par le « désir de créer quelque chose de beau et d’artistique » qu’écrit par nécessité financière, fait l’objet d’une analyse détaillée assortie de conseils sur son interprétation.

On ne sera pas trop surpris de lire sous la plume du compositeur des charges à répétition contre de qu’il appelle les compositeurs « futuriste », qui exigent des « couleurs », des « atmosphères », coupables de « séries de fausses notes et d’harmonies absurdes », alors qu’il faut donner un rôle fondamental à la mélodie. Il sait saluer néanmoins le Scriabine de la cinquième sonate par exemple, qu’il interprète en concert, ou ranger Stravinski (celui du Sacre du printemps) parmi les compositeurs qui « savent ce qu’ils font lorsqu’ils détruisent les règles (…), car ils ont l’expérience des formes et des styles classiques ». Évoquant l’influence de la musique russe sur la musique française, il considère même que « Debussy (…) était un musicien de génie ».

Un long article s’intitule « Dix caractéristiques d’un beau jeu de piano ». La technique avant tout ? Elle est en tout cas vitale selon le compositeur : gammes, arpèges, études. Rachmaninov reviendra en détail sur ce travail dans un paragraphe intéressant intitulé « l’Examen », où les épreuves techniques se révèlent décisives dans les cursus en Russie.

Quelques conseils d’interprétation sonneront peut-être aux oreilles de certains comme de simples rappels : l’instrument de Bach était le clavicorde, il faut donc éviter les sons forts ; l’Appassionatta de Beethoven autorise des dynamiques amplifiées, au contraire des premières sonates, dans le style de Haydn. Plus surprenante toutefois, cette remarque sur le rubato : « Ce serait une erreur de penser que la main gauche ou celle qui accompagne doit nécessairement jouer en mesure, alors que la main doit joue la mélodie, ou le contraire ».

Rachmaninov s’enthousiasme pour les enregistrements discographiques, qui permettent selon lui de bien capturer et retranscrire l’individualité des artistes, et surtout, de répondre à l’éphémère concert radiophonique.

Le grand compositeur n’a pas toujours la plume heureuse : « Acquérir un bon jeu du piano n’est pas aussi difficile que pour le violon, car il n’est pas nécessaire d’apprendre à trouver la hauteur d’un son comme sur le violon» ; mais il déroute lorsqu’il adopte le ton de la confession :

« Aujourd’hui, je suis plus rarement sincèrement satisfait de moi-même (…  ». Ou lorsque, écartelé entre sa triple activité de compositeur, de pianiste et de chef d’orchestre, il s’interroge : « Comme dans un vieux proverbe russe, j’ai couru trois lièvres à la fois. En ai-je seulement attrapé un seul ?… ».

Son émigration aux États-Unis lui donne l’occasion de constater que « L’Amérique contemporaine a une vie musicale riche comme nulle part ailleurs », où son activité de concertiste est intensive.

Le thème de l’inspiration traverse ses écrits, celle que le compositeur puise dans l’air du pays où il est né, mais aussi celle d’une interprétation, qui n’existe que dans un moment et qui est inexplicable.

  Michaël Sebaoun
12 janvier 2024
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Vendredi 12 Janvier, 2024 0:32