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Philharmonie de Paris, 28 janvier 2024, — Frédéric Norac.

Les Soldats : François-Xavier Roth et Calixto Bieito font triompher l'opéra de Zimmermann

Die Soldaten, Philharmonie de Paris, 28 janvier 2024. Photographie © musicologie.org.

Les Soldats (Die Soldaten), l’unique opéra de Bernd Alois Zimmermann, n’avait pas paru sur une scène française depuis 1994 et la venue de la production de l’opéra de Stuttgart à l’Opéra Bastille, constituant ainsi la création française d’une œuvre qui remontait déjà à 1965. Trente ans plus tard, cette version de concert en provenance de Cologne, port d'attache du compositeur, ne pouvait que faire événement. Après Le Grand Macabre en décembre dernier, François-Xavier Roth, à la tête de son orchestre du Gürzenich, prouve une fois de plus ses affinités avec le répertoire du xxe siècle et en donne une lecture magistrale et captivante, d’une force inégalée.

Il faut dire qu'il dispose d'une distribution de très haut vol et que la mise en espace de Calixto Bieito vaut largement mise en scène, tant elle pénètre, avec un minimum de moyens, au cœur de cette œuvre terrible qui nous montre la destruction implacable d'un être humain par la machine sociale. Marie, l'héroïne de cette descente aux Enfers, est un peu la petite sœur de Lulu et la partition, l’héritière de la première École de Vienne (atonalisme, sprechgesang, richesse de l'instrumentation où dominent percussions et vents), même si au quatrième acte le compositeur ouvre son discours sur une forme de pluralisme, intégrant des citations musicales, des bruitages, des cris, un combo de jazz dans le lointain et même l’évocation visuelle d’une explosion atomique. Dans le livret élaboré à partir d’une pièce de Jacob Lenz, le compositeur semble avoir mis toute cette détresse existentielle qui le conduira au suicide en 1970.

Les vingt-quatre solistes qui portent vocalement et scéniquement cette œuvre puissante mériteraient tous citation. On retiendra évidemment Emily Hindrichs dans le rôle principal que le metteur en scène a eu la bonne idée de faire doubler par une danseuse, Denise Maisner, pour les scènes les plus scabreuses, comme celle où, sous prétexte de protection la Comtesse de La Roche (Laura Aikin) l’humilie physiquement et moralement ou celle où la totalité des personnages masculins, une bonne quinzaine en rang d’oignons, la violent tour à tour. On regrettera — mais est-ce par pudeur ? — que le metteur en scène n’ait pas osé, dans la dernière scène, montrer le fond de la décadence lorsque Marie racole dans la rue son propre père (Tomas Tomasson) qui ne la reconnait pas et lui dénie toute charité. La violence est également présente dans la scène où Stolzius, le fiancé de Marie, le très touchant Nicolay Borchev, se fait passer à tabac par les soldats ou dans la scène où après avoir empoisonné Desportes, le premier séducteur de Marie, il s’empoisonne lui-même et tombe sur son corps. Mais elle peut n’être que verbale comme dans l’échange entre Desportes, (Martin Koch) et Mary (Wolfgang Stefan Schweiger) à qui ce dernier l’abandonne, avant de s'enfuir. Face au tragique de la destinée humaine, la voix de la philosophie (John Heuzenroeder) et le discours de la religion, l’aumônier d’Oliver Zwarg, sont tournés en dérision. Mais l’opéra s’achève tout de même sur la déclamation du « Notre Père » sur fond de bruit de bottes et le compositeur a mis sur la dernière portée de sa partition le sigle OAMDG (Opera ad majorem Dei gloriam). Faut-il y voir une forme d'ironie ou de résignation devant l'incompréhensible ?

On pourra trouver l'œuvre excessivement noire ou datée, dans une période où il est de bon ton de se montrer optimiste. On ne peut nier à cet opéra qui réclama huit ans de travail au compositeur un impact immédiat, au-delà de la relative difficulté de son langage et dont cette interprétation, saluée par une salle enthousiaste, témoignait largement.

plume_07 Frédéric Norac
28 janvier 2024


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Mardi 30 Janvier, 2024 23:31