27 juillet 2024 2024 —— Michaël Sebaoun.
« Deux grands maîtres ensemble ». Nous revient en mémoire, à la lecture de ce livre écrit par le compositeur Anthony Girard (né en 1959) sur les mélodies de Guy Sacre (né en 1948) intitulé Aux sources vives de l’enfance, cet hémistiche de Joachim du Bellay.
Deux compositeurs qui, pour ne s’en tenir qu’à la musique pour piano, instrument privilégié de Guy Sacre, ont signé deux cycles majeurs : Les Nouvelles Chansons enfantines pour Guy Sacre, Le Cercle de la vie, un cycle de 24 préludes pour Anthony Girard.
Autre domaine de prédilection de Guy Sacre, la mélodie. C’est l’intégralité des mélodies du compositeur qu’Anthony Girard analyse dans ce livre, extraits de partitions à l’appui. Signalons que bon nombre d’entre elles ont été enregistrées par la mezzo-soprano Florence Katz, le baryton Jean-François Gardeil, et le pianiste Billy Eidi chez Timpani, et qu’elles sont presque toutes éditées chez Symétrie.
Guy sacre est un compositeur essentiellement autodidacte, pianiste et grand déchiffreur de partitions. Il ne cite parmi ses maîtres qu’un seul professeur, Bertrand Robillard, qui l’initia aux « arcanes de l’harmonie », et Jankélévitch pour son sens du « presque rien » et son insatiable curiosité. Ce qui ne l’empêche pas, selon Anthony Girard, d’appartenir à une « École moderne française », allant de Chabrier à Jean Françaix, mais à l’exception, entre autres, de Dutilleux ou Messiaen, dont le Catalogue d’oiseaux, par exemple, provoque chez Guy Sacre un ennui irrépressible.Parmi les traits les plus saillants de cette musique française, citons « un ressourcement du langage au contact de la mélodie grégorienne (Fauré, Debussy, Satie, Ravel, Caplet), un langage harmonique finement élaboré, parfois jusqu’à l’excès (Fauré, Chabrier, Debussy, Ravel, Roussel, Ibert, Caplet), une sensibilité à l’écriture polytonale (Ravel, Milhaud, Françaix), une prédilection pour l’épure (Satie, Debussy, Ravel, Sauguet), et pour les œuvres brèves, un esprit léger, voire humoristique (Chabrier, Ravel, Ibert, Poulenc, Sauguet, Françaix), une émotion le plus souvent très intériorisée ».
Mais si Anthony Girard situe Guy Sacre dans une vaste tradition, c’est aussitôt pour l’affranchir de toute étiquette : Guy Sacre gravite loin des compositeurs de son temps, ennemis de toute hérédité, tout en étant étranger à des compositeurs comme Hersant, Florentz ou Greif, pourtant soucieux de filiation.
Hors des modes donc, Guy Sacre suit son mode, c’est-à-dire « son élan personnel » vers la beauté, et repousse le qualificatif de postmoderne, qui l’insérerait dans « la ligne du temps ».
À rebours d’André Suarès, selon qui le poème choisi, pour le compositeur, n’est qu’une occasion, l’accord entre musique et texte n’étant pas nécessaire, Anthony Girard montre dans ses analyses, avec une acuité inouïe, comment « la construction strophique du poème, le poids des mots, leur sonorité propre, leur accentuation, les significations latentes, les images, orientent chaque composition dans le sens de la vérité émotionnelle ».
Les thèmes présents dans les mélodies de Guy Sacre sont « l’enfance, la mémoire, la joie fragile de l’instant, mais aussi l’exercice de la solitude et la pensée de la mort », « les émotions de la nuit et de l’hiver (…), l’univers du sommeil et du rêve ». L’enfance surtout, qui est plus qu’un thème, un état d’âme chez Guy Sacre. « Cela revient à dire que rien dans son œuvre n’est véritablement distinct de cette sensation d’appartenir encore au monde de l’enfance, tout en constatant que les années ont passé et qu’en réalité ce monde n’existe plus ».
Guy Sacre puise chez une multitude de poètes, Jules Romain, Supervielle, Cocteau, Eluard entre autres pour illustrer ces thèmes. Musicalement, le compositeur use largement de la modalité, de la polytonalité, des modulations, des notes étrangères non résolues. Se glissent parfois un segment atonal ou des résonances ambiguës. Les accords, selon Anthony Girard, par le jeu des lignes, sont rarement classés. Mais si Guy Sacre « approfondit l’espace tonal en reculant ses limites », l’harmonie ne cesse pas d’être tonale. À ce sujet, Girard nous rappelle combien le mot tonal est source de malentendus. Sous ce vocable, notre époque confuse range des compositeurs aussi dissemblables que Hersant, Escaich ou Delplace !
Ajoutons encore que l’écriture de Guy Sacre est toujours concise, la forme simple ou parfois évanescente, donnant parfois la sensation d’une phrase continue. L’écriture pianistique abonde en figuralismes tandis que la ligne vocale se déploie simplement, sans « enfler la voix », presque toujours dénuée de théâtralité.
Anthony Girard souligne que, bien que le piano et la mélodie soient les corpus les plus connus et enregistrés de Guy Sacre, la musique de chambre est présente dans son catalogue, tout comme une œuvre poétique, encore à découvrir.
Un livre unique d’Anthony Girard, pour se laisser envoûter par la musique de ce marcheur solitaire qu’est Guy Sacre.
Michaël Sebaoun
27 juillet 2024
© musicologie.org.
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41..
ISNN 2269-9910.
Vendredi 26 Juillet, 2024 14:41