Pour fêter ses quatre-vingts ans et près de quarante ans de collaboration avec l’Opéra-Comique, William Christie a choisi Les Fêtes d’Hébé, opéra-ballet de Rameau, en un prologue et trois entrées de 1739. L’histoire trouve sa source dans la mythologie. Hébé, déesse de la jeunesse, a été chassée de l’Olympe, pour avoir malencontreusement renversé la coupe des Dieux. Le librettiste de Rameau imagine donc qu’encouragée par l’Amour et Momus, dieu de la Fête, la déesse va jeter son dévolu sur les berges de la Seine et en faire son nouveau paradis.
Le sujet était trop beau pour que Robert Carsen, metteur en scène habile, n’en fasse ses choux gras et n’en profite pour passer la main dans le sens du poil au public parisien. Paris va donc être le théâtre des trois bluettes, sujets de chacune des entrées, où il est question d’amour contrarié, mais bien vite triomphant, à travers l’évocation des trois Arts qui constituent l’opéra-ballet : la Poésie, la Musique et la Danse.
Les Fêtes d’Hébé, Opéra-Comique de Paris. Photographie © Vincent Poncet.
Au prologue, nous serons à l’Élysée où, au cours d’un cocktail, la malheureuse Hébé, devenue une soubrette ordinaire, renverse un verre de vin sur la robe de rien moins qu’une certaine Brigitte M. et se fait virer illico presto. Si le gag est bien trouvé et fait mouche, le divertissement qui suit finit par lasser avec ses touristes en folie qui se prennent à qui mieux mieux en selfies devant le palais, tandis que l’Amour en robe fendue s’excite dans des poses affriolantes.
Pour la première entrée, consacrée à la Poésie, nous voilà transportés à Paris-Plage où Sappho, la célèbre poétesse, devenue une simple employée, installe les transats tout en se plaignant du sort malheureux de son amant Alcée que le vilain Thélème, qui la convoite, a fait bannir par le roi Hymas. Ce dernier apparaîtra bientôt sous les traits d’un CRS costaud et plein de bonhomie et évidemment tout rentrera vite dans l’ordre. Thélème, quant à lui, se fera bellement rosser par le corps de ballet dans le divertissement qui clôt cette entrée. Tout méchant qu’il soit, ce passage à tabac, assez « violent », laisse une impression désagréable et Antonin Rondepierre (dont le ténor est en constant progrès) qui incarne la victime, a bien du mérite à se prêter à ce festival de roulés-boulés qui doit sûrement lui valoir quelques bleus.
La seconde entrée consacrée à la musique nous ramène quelques relents de triomphalisme olympique, le sport remplaçant ici la guerre de Lacédémone contre les Messéniens qu’Alcée doit gagner pour pouvoir épouser Iphise. Si le ballet inspiré des figures footballistiques est remarquablement réussi, on ne peut s’empêcher de trouver dans la vidéo du match qui suit et qui enfonce un peu plus le clou si c’était nécessaire, un rien de démagogie franchouillarde.
Enfin, la troisième entrée, placée sous le signe de la danse, se passe dans une guinguette moderne, face à Notre-Dame, impeccablement restaurée. Mercure amoureux de la belle Eglé, arrivant en moto bardé de cuir, se transforme bientôt en DJ et le concours de danse où doit briller l’héroïne en une rave déchaînée.
Les Fêtes d’Hébé, Opéra-Comique de Paris. Photographie © Vincent Poncet.
Pour conclure, le metteur en scène embarque tout son monde dans un bateau-mouche baptisé du nom de la déesse et nous emmène vite fait, grâce à la vidéo, de Notre-Dame à la Tour-Eiffel (qui a perdu ses anneaux olympiques) où un feu d’artifice assez banal conclut cette célébration parfois un peu bas de gamme de la Jeunesse et des Arts.
Tout ce travail de transposition est certes assez performant et, sans doute, doit permettre à un public non initié d’entrer dans l’univers symbolique de l’opéra-ballet, mais, si l’on s’amuse souvent, on regrette un peu cette banalisation où la poésie a un peu de mal à trouver place, mais dont on exceptera tout de même un travail chorégraphique souvent très réussi dans son intégration de styles multiples et un plateau remarquablement assorti.
Musicalement l’œuvre est en effet servie par une distribution impeccable, dominée par la présence de Léa Desandre dans les trois rôles féminins principaux auxquels elle communique cette grâce si particulière de sa voix de mezzo sopranisant qui a gagné en harmoniques sans perdre de sa légèreté et de son charme. Ajoutons qu’elle se révèle aussi une danseuse hors pair. Si Marc Mauillon est parfait en Momus, sa voix de baryton-martin reste un peu courte pour le grand air à vocalises de Mercure dans la troisième entrée. Ana Vieira Leita apporte tout le brillant souhaitable à l’Amour et aux deux rôles secondaires qu’elle assume. Renato Dolcini fait valoir une belle voix de basse ronde et chaude en Hymas comme en Tyrtée. Dans le rôle-titre comme dans celui de la Nymphe de la Seine, Emmanuelle de Negri se montre aussi drôle que bien chantante. On citera encore l’excellent Lisandre Abadie en Alcée et Cyril Auvity en Lycurgue. Les Arts florissants, orchestre et chœur compris, sont évidemment au-dessus de tout éloge, de même que leur chef qui n’a rien perdu de sa finesse et ajouté un peu d’ élan à sa direction toujours aussi raffinée. Elle révèle une partition qui, sans être la meilleure de Rameau, séduit autant par la richesse de ses suites de danses que par ses airs plutôt rares, le discours étant plutôt dominé par un récitatif en arioso d’une grande subtilité. Au final mise en scène et distribution se taillent un succès sans réserve et, avouons-le, malgré nos réserves, et une fois accepté le parti-pris un peu racoleur de la production, nous avons passé un agréable après-midi.
Prochaines représentations les 17, 19 et 21 décembre.
Production captée par François Roussillon le 19 décembre et diffusée sur Mezzo et Medici.tv le 21 décembre.
Enregistrement par France Musique diffusé le 11 février 2025 à 20 h
Frédéric Norac
15 décembre 2024
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Jeudi 19 Décembre, 2024 15:28