Le Banquet Céleste. Photographie © Jean Fleuriot.
Les chefs-d’œuvre ont cette faculté miraculeuse de se renouveler à chaque nouvelle écoute, à chaque nouvelle interprétation. C’est ce que nous apprend cette production du Couronnement de Poppée dont l’aventure, commencée en 2023 à l’Opéra de Rennes sous la direction de Damien Guillon et dans une mise en scène de Ted Huffman, arrivait sur la scène du TCE en version de concert, sans chef ni théâtre, mais riche de l’expérience de la scène et d’une fréquentation assidue de leurs rôles par une équipe de jeunes chanteurs qui, par leur simple présence, nous font percevoir et ressentir l’action et les affects aussi bien que le ferait une représentation.
Douze musiciens du Banquet Céleste les accompagnent : six cordes pincées et frottées (violone, luth, harpe) auxquelles viennent s’ajouter l’orgue et deux clavecins pour le continuo, et un petit ensemble de bois (flutes et cornets) et deux violons pour colorer les ritournelles et soutenir les arias. L’instrumentation, réalisée sous la direction de Damien Guillon, offre une approche quasi chambriste de la partition où l’entente entre le plateau et l’ensemble instrumental est garante d’une réalisation captivante.
Le Banquet Céleste / Victoire Bunel. Photographie © Jean Fleuriot.
Dans le rôle-titre, Catherine Trottmann compose une Poppée plus ambitieuse que sensuelle, avec un registre aigu tranchant et un médium corsé qui lui vient de ses origines de mezzo. Le Néron de Ray Chenez possède une certaine âpreté dans le haut de la voix. Elle communique à son personnage impérieux ce caractère névrotique qui le rend terriblement inquiétant et lui fait pardonner quelques menues errances tonales. Paul-Antoine Benos-Djian offre à Othon son timbre d’une grande douceur et un phrasé subtil et expressif dont se dégage une délicate mélancolie. Paul Figuier assume avec aplomb, mais sans histrionisme les deux rôles de nourrices, celle de Poppée et celle de l’Impératrice. Comme le veut la tradition Victoire Bunel couple le rôle d’Octavie, l’Impératrice répudiée, et celui de Vertu dans le prologue avec un beau mezzo coloré et un grand sens du pathétique. Valeria La Grotta est successivement Fortuna, Damigella et Drusilla, ce dernier rôle étant celui qui convient le mieux à son soprano léger et fruité tandis que Camille Poul donne autant de malice à son Valletto qu’à son Amour omnipotent. Adrien Mathonat possède la profondeur et l’autorité du philosophe et son Sénèque est bien soutenu par le trio des familiers formé par Thibaut Givaja, Yannis François et Sebastian Monti. Ce dernier se révèle particulièrement efficient en Lucanio dans l’extraordinaire duo de jubilation qui le réunit à Néron après la mort de Sénèque. Yannis François assure également la brève intervention de Mercure.
Le Banquet Céleste. Photographie © Jean Fleuriot.
Au final, après tant d’affects variés d’une scène à l’autre, où les sentiments humains s’expriment dans leur totale crudité, envie, jalousie, haine, désir, amour feint ou réel, on est saisi d’émotion aux premières mesures du célèbre duo qui couronne la soirée, « Pur ti miro, pur ti godo », comme si on ne l’avait jamais entendu auparavant.
Dernier concert de la tournée à Rouen le 17 décembre. Reprise envisagée en septembre 2025.
Frédéric Norac
16 décembre 2024
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