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Église des Blancs-Manteaux, 27 mars 2024 — Frédéric Norac

La Morte vinta sul Calvario : Piété viennoise à l’italienne

Les Traversées BaroquesLes Traversées Baroques. Photographie © Édouard Barra.

Jusqu’à Mozart et encore un peu au-delà, Vienne fut une des capitales de la musique italienne. Les musiciens allemands composaient des opéras sur des livrets et dans un style italiens et on y rencontrait autant de musiciens que de littérateurs transalpins. Marc'Antonio Ziani (1653-1715) fut l’un d’entre eux. Compositeur prolifique, il produisit une quarantaine d’opéras (perdus), des oratorios, des messes, des motets et des « sepolcri ».

Le « sepolcro » est une forme typiquement viennoise, proche de l’oratorio, destinée à célébrer, pendant la Semaine sainte, la Résurrection du Christ et à exalter la foi des fidèles, à travers une évocation dramatisée du dogme. Dans La Morte vinta sul Calvario de 1706, le librettiste, Pietro Antonio Bernardoni, met en scène des personnages allégoriques dans une sorte de joute verbale autour de la mort du Christ. Le Démon (Il Demonio) et la Mort (La Morte) tournent en dérision le Christ mort et se moquent de la Nature humaine (La Natura Umana) déconcertée par la disparition de son Sauveur qui lui avait promis l’immortalité. Mais la Foi (La Fede) et l’Âme d’Adam (L’Anima d’Adamo) viennent à la rescousse et finissent par triompher des forces négatives.

La langage utilisé par Ziani est celui du premier baroque, dans la droite ligne des héritiers de Monteverdi et de Cavalli, avec une grande importance accordée au récitatif. Parmi les quinze arias qui composent ce Sepolcro, auxquels s’ajoutent un duo et un très beau chœur final, l’arioso et des formes assez libres dominent, mais n’excluent pas pour autant quelques airs à vocalises qui regardent déjà vers l’opéra séria. Ceux consacrés à la Natura Umana se distinguent particulièrement par leur originalité mélodique, l’utilisation de modulations inattendues et une expressivité très séduisante. L’instrumentation très variée d’un numéro à l’autre contribue à l’intérêt de l’œuvre : cornet, trombone et basson pour caractériser le Démon, andante soutenu par les violes et solo obligato de violon, pour les deux airs de la Nature humaine.

Les Traversées baroques ont eu la bonne idée de redonner vie à cette pièce très originale et viennent de lui consacrer un disque et une tournée de concerts. On regrette un peu, vu la qualité de leur interprétation, une acoustique peu favorable pour une pièce qui réclamerait sans doute un supplément d’intimité même si l’orchestration en est assez riche : cornets à bouquin, flûtes, saqueboutes, bassons, violons (par deux) auxquels s’ajoutent violoncelle, contrebasse, théorbe et clavier (clavecin et orgue). La trop vaste église des Blancs-Manteaux ne favorise guère les harmoniques graves et la voix du baryton-basse, Yannis François (Il Demonio) en souffre, tout comme celle du contre-ténor Maximiliano Banos (La Morte), ainsi que les deux cornets à bouquin souvent couverts par la brillante saqueboute de Claire McIntyre L’enregistrement ne présente pas cet inconvénient et permet d’entendre toute la richesse de l’accompagnement et toutes les voix dans leur plénitude. Si le contre-ténor y gagne nettement, les limites de la basse y sont un peu accusées. Se substituant au beau ténor central de François-Nicolas Geslot au concert, Vincent Bouchot (La Natura Umana) n’a rien à lui envier en termes de souplesse vocale et d’expressivité, avec un timbre très personnel. Tous deux donnent une grande intelligibilité au texte. Les sopranos, Dagmar Saskova (La Fede) et Capucine Keller (L’Anima d’Adamo) sont toutes deux très brillantes dans des airs souvent virtuoses. L’ensemble des instrumentistes sont évidemment à leur meilleur. Le CD bénéficie d’une remarquable notice musicologique de Jean-François Lattarico et se présente en couverture avec la reproduction d’un très beau tableau de Charles Lebrun « La chute des anges rebelles » issu des collections du Musée des Beaux-Arts de Dijon où les Traversées Baroques ont leur port d’attache. Une belle redécouverte.

1.

Marc'Antonio Ziani, La Morte vinta sul Calavario (Sepolcro, Vienna, 1706), Les Traversées Baroques, dir. Étienne Meyer et Judith Pacquier, CD Accent 2024 (ACC24 402).

plume_07 Frédéric Norac
27 mars 2024
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