L’Uomo Femina. Photographie © Mirco Magliocca - Opéra de Dijon.
Dans sa Lettre sur la musique française de 1752, Jean-Jacques Rousseau raconte avoir vu à Venise un Arménien entendant pour la première fois de la musique, un air de Rameau et un de Galuppi, tous deux médiocrement chantés. Il montra peu de plaisir au premier, mais un vrai ravissement au second dont il ne comprenait pourtant pas les mots. Baldassare Galuppi (1706-1785) composa beaucoup sur des livrets de Carlo Goldoni, avant d’écrire en 1762, avec Pietro Chiari (1712-1785) cet Uomo Femina retrouvé en 2006 par Vincent Dumestre, le directeur et chef du Poème harmonique, et recréé cette année à l’opéra de Dijon en coproduction avec le théâtre de Caen et l’opéra de Versailles.
Cette idée de bousculer l’ordre établi le temps d’une comédie théâtrale était déjà le cœur de l’Île aux esclaves de Marivaux en 1725, sur le principe populaire du carnaval et de la fête des fous où les valeurs et les genres sont inversés le temps d’une journée, propice à tous les débordements et travestissements. Mais aussi sans doute une façon de faire réfléchir en riant et en s’amusant, surtout au siècle dit des Lumières.
Deux naufragés, maître et valet, sont donc recueillis sur une île gouvernée par les femmes, où les hommes sont depuis toujours le sexe faible destiné au bon plaisir de l’autre. Mais l’irruption de ces deux étrangers venus d’une société virile va bousculer en 3 actes ce microcosme insolite, où les unes ressemblent à des guerrières amazones aiguisant leurs traits et les autres à des travestis décoratifs, ne pensant qu’à leurs attraits..
La mise en scène d’Agnès Jaoui, les décors d’Alban Ho Van, les costumes de Pierre Jean Laroque et les lumières de Dominique Bruguière réinventent un univers étonnant et baroque qui fait souvent écho à notre univers occidental actuel.
La musique de Galuppi, comme l’avait compris Rousseau, est belle, simple et chatoyante, évoluant entre le baroque tardif et le classique naissant. Les voix s’écoutent et se répondent, selon le principe d’unité de la mélodie que le musicien philosophe expose dans sa Lettre. En solos tous très applaudis, en duos, en trios ou en chœur fort bien tournés, même si les émotions éprouvées par les unes ou les autres sont différentes.
Les six chanteuses et chanteurs sont excellents, aussi comme comédiens. L’orchestre du Poème harmonique, entendu l’an dernier dans Le carnaval baroque est parfait.
Une belle redécouverte et recréation, qui nous change de la nième reprise des grands ouvrages ou des longues recréations pas toujours vraiment convaincantes.
À revoir du 13 au 15 décembre à l’opéra de Versailles et en avril à Madrid.
Prochain opéra au théatre de Caen, Les enfants terrible de Jean Cocteau et Philp Glass les 4 et 5 décembre.
Alain Lambert
16 novembre 2024
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