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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 8 mars 2024 — Frédéric Norac

Gosse de riche : les délices du cocufiage

Gosse de riche. Photographie © Camille Girault.

« Gosse de riche » de Maurice Yvain est un bon gros vaudeville comme on les aimait dans les années 1920. Un homme d’affaires (Achille Patarin) trompe sa femme avec une « grue » (Nane). Elle est également la maîtresse du jeune peintre (André Sartène) qui est en train de faire son portrait et dont sa propre fille (Colette) est tombée amoureuse. Pour sa villégiature d’été, il a loué le château d’une fausse baronne combinarde (la Stakinkolowitz) qui lui permet de retrouver sa maîtresse au nez et à la barbe de sa femme en la faisant passer pour une femme mariée, car la baronne lui a trouvé un faux mari (Léon Mézaize). Mais la fille de l’homme d’affaires complique la chose en invitant le peintre dont elle s’est entichée et qu’elle a décidé d’épouser. Comme tout le monde ment à tout le monde, sauf la petite fille gâtée du Monsieur, et sa naïve épouse. la pièce offre un ensemble de quiproquos et de situations scabreuses qui, évidemment, se résoudront par un parfait retour à l’ordre dans un milieu où ce genre de frasques est parfaitement normal. La « gosse » épousera son peintre, la baronne touchera ses 20 % sur la dot, Patarin fera amende honorable et retournera à sa femme, Nane continuera sa carrière de femme entretenue et le faux mari récupérera ses 3000 francs malgré l’échec de la supercherie.

Le metteur en scène, Philippe Neyron, a voulu y voir une « comédie sociale » qui mettrait « en son cœur, les questions du déterminisme social et de la rébellion », à travers le personnage de Colette. Personnellement, nous n’y avons guère vu que l’éternelle apologie du cocufiage, typique du vieux théâtre de boulevard. Pour appuyer sa thèse, il l’a transposée à notre époque dans un décor abstrait et très esthétique qui conviendrait à une pièce d’auteur, avec des costumes recherchés, notamment ceux de Mme Patarin, dont il fait une parfaite snob et une « fashion victim ». Hélas, au-delà de ses oripeaux « chics », de ses chorégraphies néo hip-hop branchées, la pièce reste ce qu’elle est, un répertoire de lieux communs de l’époque, souvent bien trivial, entre grivoiserie cynique et sentimentalisme rose bonbon.

Gosse de riche. Photographie © Camille Girault.

Certes, la partition de Maurice Yvain ne manque pas de qualités. Comme toujours, le compositeur fait montre d’une agréable veine mélodique, dopée par les références au jazz et aux danses à la mode, et ose se lancer de temps en temps dans des ensembles extrêmement sophistiqués plutôt séduisants. Mais souvent, au fil des refrains, ses « airs » finissent par tirer un peu à la ligne et lasser l’auditeur par manque de renouvellement.1

Malgré les qualités d’une distribution qui réunit d’excellents chanteurs et quelques véritables tempéraments scéniques, notamment Marie Lenormand irrésistible dans le rôle de la baronne et Lara Neumann dans celui de Mme Patarin, qui passe brillamment de son rôle de potiche à celui de femme forte à la fin de la pièce, on reste extérieur à cette histoire. Il faut dire que Jacques Bousquet et Henri Falk n’ont pas la finesse d’esprit d’un Willemetz et que leurs dialogues et leurs effets comiques sont assez lourds. Malgré son traitement très théâtre d’avant-garde, le dénouement de la pièce parait bien laborieux et pèse singulièrement au bout de deux heures sans interruption d’excitation factice et de soi-disant « bons mots ».

On rend volontiers justice aux qualités vocales de la distribution. Amélie Tatti, dans le rôle-titre, possède une très jolie voix, mais souffrirait d’un petit supplément de projection et de tempérament ; Philippe Brocard, déjà remarqué dans « Coup de roulis », la saison dernière, prête sa voix sonore et sa forte présence scénique à Patarin et le baryton Aurélien Gasse (qui se présente dans la première, allez savoir pourquoi, nu sous un grand tablier) se révèle très musical en André Sartène mais bien peu investi. Une mention aussi pour le faux mari de Charles Mesrine qui doit assumer un comique de répétition bien téléphoné. On regrette une fois de plus un certain manque d’intelligibilité du texte chanté, ce qui n’aide guère à adhérer au propos.

Dans la fosse élargie pour l’occasion, l’ensemble des Frivolités Parisiennes — sans chef : — se montre d’une belle cohésion et d’une grande élégance dans les rythmes de danse qui construisent la partition. Si les surtitres restaient lisibles au second balcon, on aurait sûrement ri un peu plus à cette pochade (im)morale, typique de la mentalité petite-bourgeoise de l’entre-deux-guerres.

Représentations jusqu’au 17 mars.

Spectacle repris au Théâtre Impérial de Compiègne le 22 mars et à l’Opéra de Reims, le 24 mars.

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1. Signalons d’ailleurs que, contrairement à ce qu’affirment les producteurs, à sa création, la pièce ne fut pas un gros succès et ne devait tenir l’affiche que 76 jours sur deux ans, ce qui est dérisoire comparé à Ta Bouche et Là-haut qui tinrent l’affiche respectivement 582 et 260 jours d’affilée.


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Lundi 11 Mars, 2024 4:52