musicologie

19 septembre 2024 —— Michaël Sebaoun.

Gabriel Fauré : Lettres à Marie

Jean-Michel Nectoux (éditeur), Lettres à Marie (1882-1924) : la correspondance inédite de Gabriel Fauré avec son épouse.

Jean-Michel Nectoux (éditeur), Lettres à Marie (1882-1924) : la correspondance inédite de Gabriel Fauré avec son épouse. « Correspondances / Musique », Le Passeur, Paris 2024 (576 p. ; ISBN 978-2-38521-019-9 ; 25,00 €]

Événement dans le monde de l’édition musicale, puisque Le Passeur Éditeur publie en cette année 2024 un vaste ensemble de lettres, allant de 1882 à 1924, en grande partie inédites, du compositeur Gabriel Fauré (1845-1924) à sa femme Marie. Une correspondance établie par le musicologue Jean-Michel Nectoux, pour célébrer le centenaire de la mort du « plus subtil harmoniste qui ait jamais été » (Jean-Michel Nectoux, Fauré, Solfège/Seuil, 1972).

Marie Frémiet (1856-1926) est la fille du sculpteur renommé Emmanuel Frémiet et de Marie- Adélaïde Frémiet. Elle est elle-même peintre, mais se fait surtout connaitre, dit le musicologue, comme dessinatrice d’éventails qu’achètent les admiratrices du compositeur… Elle épouse en 1883 Gabriel Fauré. Ils auront deux enfants. Emmanuel deviendra un biologiste reconnu, Philippe sera dramaturge.

Une particularité de cette correspondance : elle est à sens unique. On y trouve en effet une seule lettre de Marie à Gabriel. Jean-Michel Nectoux suppose que les lettres de Marie ont été en grande partie détruites par elle-même ou par son fils Philippe. Cette lettre date de 1921 et témoigne de relations dégradées.

On peut lire également une lettre de 1913 de Philippe à sa mère, un petit compte-rendu de concert élogieux écrit probablement le lendemain de la création de l’opéra Pénélope de Fauré.

L’intégralité du volume est donc consacrée aux lettres que Fauré écrivit à sa femme lors de ses tournées de concerts, inspections des écoles de musique, et surtout pendant les mois d’été, où il s’isole, souvent avec sa maîtresse, la pianiste Marguerite Hasselmans, en Suisse, à Annecy, à Longano, pour créer. Des moments qu’il qualifie étrangement de vacances (et bien qu’il parle de travail à propos de ses compositions).

Il faut dire que ses tâches, entre autres, de directeur du Conservatoire de Paris lui laissent un goût amer : « Ces gens-là ont véritablement empoisonné mon temps, m’ont démobilisé », écrit-il en 1921. Pourtant, le compositeur célébré dans les salons comme un « voluptueux », un « tendre » (Philippe Fauré-Frémiet) fut, on le sait, un directeur autoritaire qui poussa vers la sortie nombre de collègues.

Il y a aussi la critique musicale, et sa collaboration au Figaro, de 1903 à 1921, qui le rend souvent nerveux, quand il a un article à écrire dans un nombre d’heures déterminé.

Mais surtout Fauré, qui se voit depuis l’enfance comme « un absorbé, un silencieux », tient dans son courrier sa femme continuellement informée de l’état d’avancement de ses compositions, de ses blocages, souvent rapportés avec humour : « Il me tarde de pouvoir t’envoyer d’ici un cocorico vainqueur des difficultés du moment (…). Transparait d’ailleurs un musicien qui hésite entre fierté et modestie non feinte. Jean-Michel Nectoux affirme que les manifestations d’auto- satisfaction sont rares chez le compositeur.

Ces lettres dressent aussi un carnet de santé très complet du compositeur : sommeil, nourriture, traitements, forme générale, et aussi, bien sûr, atteinte de la surdité.

Cette surdité qu’évoque Philippe dans son essai consacré à son père (Gabriel Fauré, Éditions Rieder, 1929). « C’est qu’à l’affaiblissement des sons s’était jointe, pour lui, une déformation rare et diabolique : il entendait les notes graves de l’échelle musicale, une tierce au-dessus, les notes aiguës, une tierce en dessous, le médium seul était lointain, mais juste ».

Fauré, qui entend « des sons si cocassement mêlés », ne s’appesantit pas sur ses souffrances ; mais elles semblent modifier son rapport à la composition, et il écrit, en 1912, qu’il ne se sert plus jamais de piano.

Au fil de ces lettres qui se suivent et se ressemblent beaucoup, on remarque l’intérêt constant que montre Fauré pour l’éducation et la santé de ses enfants, et l’inquiétude que lui cause Marie, femme fragile, en charge de l’éducation de Philippe et Emmanuel bien souvent dans la solitude. Les témoignages réitérés d’affection de la part de Fauré, son attente fébrile de nouvelles des siens, accentuée par l’entrée en guerre de la France en 1914, et alors que lui-même continue de voyager fréquemment, faut-il douter de leur sincérité ?

On croise encore dans ces Lettres à Marie les figures de Saint-Saëns, grand ami et admirateur de Fauré, qui le lui rendait bien, d’Isaÿe, de Ducasse, un de ses élèves. On s’amuse des quelques saillies mordantes de Fauré sur ses contemporains, Puccini et Théodore Dubois en tête. On voyage avec lui lors de ses concerts où il tient le piano dans sa musique de chambre et ses mélodies.

On note dans cette correspondance largement nourrie des tracas du quotidien un compositeur sensible aux beautés de la nature, un musicien qui, au soir de sa vie, cherche en lui-même des sujets de compositions (comme son Trio pour clarinette, violoncelle et piano en 1922), détaché de toute recherche de commandes ou de concessions.

La dernière lettre de Fauré à sa femme date du 10 octobre 1924. Elle évoque le travail d’écriture de leur fils : « Je voudrais être calme relativement à la pièce de Philippe St Michel. Je n’y parviens pas. Espérant tout de même et ne nous faisons pas trop de souci et mauvais sang d’avance ! ».

plume 4  Michaël Sebaoun
19 septembre 2024
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