I. Distribution ; II. Notice ; III. Argument.
LA MARÉCHALE
seule
Le voilà qui s’en va, ce mauvais sujet, bouffi d’orgueil,
et il obtient une jolie petite jeunesse et un beau magot par-là-dessus,
comme si c’était naturel,
et il se figure encore que c’est lui qui se compromet.
Pourquoi vais-je me mettre en colère ? Ainsi va le monde.
Je me rappelle fort bien une autre jeune fille
qui est sortie tout droit du couvent pour être soumise aux liens sacrés du mariage.
Elle prend son miroir.
Où donc est-elle maintenant ? Oui,
où sont les neiges d’antan !
Je dis cela comme ça :
Mais il me paraît si invraisemblable
que j'aie pu être cette petite Resi
et que je serai un jour une vieille femme.
La vieille dame, la vieille Maréchale !
« Regardez, voilà la vieille princesse Resi ! »
Comment ces choses-là arrivent-elles ?
Comment le bon Dieu peut-Il faire cela ?
Alors que moi, je reste toujours la même.
Et s’il faut qu’il agisse ainsi,
pourquoi me laisse-t-Il le voir en spectatrice,
avec une aussi nette perception ? Pourquoi ne me le cache-t-Il pas ?
Tout cela est mystérieux, si profondément mystérieux,
et l’homme n’est ici-bas que pour endurer tout cela.
Et c’est dans le « comment »
que réside la grande différence.
Octave entre par la droite en costume de cheval et botté. Elle lui fait un pauvre sourire.
Ah, te voilà revenu !
OCTAVE
Et toi, te voilà triste !
LA MARÉCHALE
C’est déjà fini. Tu sais bien comment je suis.
Un instant gaie, l’instant d’après triste.
Je n’ai pas la moindre prise sur mes sentiments.
LA MARÉCHALE
Peut-être un peu,
mais je me suis reprise et je me suis dit :
« Il n’y a rien à faire ».
Et y avait-il quelque chose à faire ?
OCTAVE
Et ce n’était pas le Maréchal,
mais un drôle cousin, et tu es à moi,
tu es à moi !
LA MARÉCHALE
se lève et le repousse
Taverl, n’embrasse pas trop souvent.
Celui qui embrasse trop, ne tient rien solidement.
OCTAVE
Dis que tu es à moi ! À moi !
LA MARÉCHALE
Oh maintenant, sois doux, sois sage et doux et gentil.
Octave veut faire une réponse enflammée.
Non, je t’en prie,
ne sois pas comme sont tous les hommes.
OCTAVE
jaloux et hérissé
Comme sont tous les hommes ?
LA MARÉCHALE
se resaisissant vite
Comme le Maréchal et le cousin Ochs.
OCTAVE
sans se laisser apaiser
Bichette !
LA MARÉCHALE
Ne sois pas comme sont tous les hommes, voilà tout.
OCTAVE
Je ne sais pas comment sont tous les hommes ; je sais seulement que je t’aime.
Bichette, on t’a changée.
Où est donc ma Bichette ?
LA MARÉCHALE
Elle est là, Monsieur le Trésor.
OCTAVE
C’est vrai, elle est là ? Alors je vais la tenir,
pour qu’elle ne m’échappe pas une autre fois.
Je vais la saisir, la saisir, pour
qu’elle sente bien à qui elle appartient,
à moi ! Car je suis à elle et elle est à moi !
LA MARÉCHALE
se dégageant
Oh, sois gentil, Quinquin. Je suis d’une humeur
où je ressens très fortement la fragilité de toutes les choses de ce monde.
Je sens jusqu’au fond du cœur
que l’on ne doit rien garder,
que l’on ne peut rien saisir,
que tout nous coule entre les doigts,
que tout ce que nous cherchons à prendre se dissout,
que tout s’évanouit comme une vapeur ou un rêve.
LA MARÉCHALE
Sois donc gentil, Quinquin !
Il pleure encore plus fort.
Et maintenant il me faut consoler ce petit
qui tôt ou tard m’abandonnera.
Elle le caresse.
LA MARÉCHALE
Ces mots qui te blessent tant !
OCTAVE
se bouchant les oreilles
Bichette !
LA MARÉCHALE
Au fond, le temps, Quinquin,
le temps ne change rien aux choses.
Le temps, c’est une chose étrange.
Tant qu’on se laisse vivre, il ne signifie absolument rien du tout.
Et puis, brusquement, on n’est plus conscient de rien d’autre.
Il est tout autour de nous. Il est même en nous.
Il ruisselle sur nos visages,
il ruisselle sur le miroir,
il coule entre mes tempes.
Et, entre toi et moi,
il coule encore, sans bruit, comme un sablier.
Oh, Quinquin ! Parfois, je l’entends qui coule —
irrémédiablement.
Parfois, je me lève, au milieu de la nuit
et j’arrête toutes les pendules, toutes.
Pourtant, ce n’est pas une chose qu’on doive redouter.
C’est aussi l’œuvre du Seigneur qui nous a tous créés.
OCTAVE
d’une voix douce et tendre
Mon beau trésor, tu veux donc te rendre malheureuse à toute force ?
Alors que tu m’as là,
alors que mes doigts s’entrelacent aux tiens,
alors que mes yeux cherchent les tiens,
alors que tu m’as là
est-ce vraiment ce que tu éprouves ?
LA MARÉCHALE
Quinquin, aujourd’hui ou demain, tu t’en iras,
et tu me quitteras pour une autre femme,
plus jeune et plus belle que moi.
OCTAVE
Cherches-tu à me repousser à coups de mots
parce que tes mains te refusent ce service ?
LA MARÉCHALE
Le jour viendra de lui-même.
Aujourd’hui ou demain, le jour viendra, Octave.
LA MARÉCHALE
Aujourd’hui ou demain ou après-demain.
Je ne veux pas te torturer, mon trésor.
Je dis la vérité, et je la dis autant pour moi que pour toi.
Je veux nous rendre la tâche facile à tous deux.
Il faut prendre les choses à la légère,
le cœur léger et les mains légères,
les tenir et les prendre, les tenir et les laisser…
Ceux qui ne sont pas ainsi, la vie les punira et Dieu ; Dieu n’aura pas pitié d’eux.
LA MARÉCHALE
Quinquin, il faut que tu partes, maintenant, il faut que tu me laisses.
Il faut que j’aille à l’église maintenant,
et ensuite, je me rendrai chez mon oncle Greifenklau
qui est vieux et paralysé,
pour déjeuner avec lui : cela lui fait plaisir, à ce vieillard.
Et cet après-midi je t’enverrai un messager,
Quinquin, pour te faire dire
si j’irai me promener au Prater ;
et si j’y vais
et que tu en as envie,
tu viendras aussi au Prater,
te promener à cheval à côté de ma voiture.
Maintenant, sois gentil et obéis-moi.
LA MARÉCHALE
Je ne l’ai même pas embrassé.
Elle sonne fiévreusement. Plusieurs valets entrent en hâte par la droite.
Courez après Monsieur le Comte,
et priez-le de revenir ici un instant.
Les valets sortent aussitôt.
Je l’ai laissé partir sans même l’embrasser !
Les quatre valets de pied reviennent hors d’haleine
LE PREMIER LAQUAIS
Monsieur le Comte est déjà loin.
LE DEUXIÈME LAQUAIS
Monté à cheval près de la grille.
LE TROISIÈME LAQUAIS
Palefrenier attendait.
LE QUATRIÈME LAQUAIS
Monté à cheval près de la grille, comme le vent.
LE PREMIER LAQUAIS
À tourné le coin, comme le vent.
LE DEUXIÈME LAQUAIS
Avons couru après lui.
LE TROISIÈME LAQUAIS
Nous avons crié.
LE QUATRIÈME LAQUAIS
En pure perte.
LE PREMIER LAQUAIS
À tourné le coin, comme le vent.
LA MARÉCHALE
C’est bien, vous pouvez disposer.
Les laquais sortent. La Maréchale leur crie.
Envoyez-moi Mohammed !
Le petit noir à clochettes entre et s’incline.
Va porter ceci…
Le petit noir saisit aussitôt l’écrin.
Tu ne sais même pas où… au Comte Octave.
Donne-le-lui et dis :
dans cet écrin se trouve la rose d’argent…
De toute façon, le Comte est au courant…
Le petit noir se sauve. La Maréchale appuie la tête sur sa main et reste à rêver tandis que le rideau tombe.
À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Lundi 9 Décembre, 2024