Nogent sur Marne, Scène Watteau, 1er mars 20245, — Frédéric Norac
La Chute de la Maison Usher. Photographie © Compagnie Winterreise.
L’opéra inachevé de Debussy, La chute de la Maison Usher, appartient au répertoire de la Compagnie Winterreise depuis 2018. Nous l’avions découvert en 2019 dans une version « à nu » dans le cadre du Musée Gustave Moreau. À chacune de ses reprises, le spectacle se transforme. Sa dernière métamorphose est une version où Olivier Dhenin Hüu a couplé sa mise en scène théâtrale avec le film qu’il a réalisé en 2023 pour une présentation au Cinéma L’Arlequin, à laquelle l’interprétation en direct servait en quelque sorte de bande-son.
Dans cette nouvelle version « théâtrale », le jeu entre l’image filmée et la représentation a un peu tendance à se faire au détriment de la seconde. La forte charge symbolique des images, évoquant les arrière-plans du drame — l’enfance, l’adolescence et les derniers démêlés des protagonistes avant le drame final — phagocyte un peu le spectacle et brouille la lisibilité d’une intrigue déjà fragmentaire. À cette version, le metteur en scène a ajouté deux airs supplémentaires : une mélodie extraite des Proses lyriques, chantée par le Médecin, personnage jusque là plutôt épisodique dont elle renforce le caractère double ainsi qu’une berceuse pour le personnage « fantomatique » de Madeline, la sœur morte de Roderick Usher. L’unité dramatique doit beaucoup au piano d’Emmanuel Christien qui réalise le tour de force de suggérer de façon très convaincante ce que l’orchestre pourrait apporter à la partition et à créer la tension nécessaire. On retrouve à cinq ans de distance, la même distribution des fidèles de la compagnie, Alexandre Artemenko en Roderick, Anne-Marie Suire en Madeline, Olivier Gourdy dans le rôle de l’Ami et Bastien Rimondi dans celui du médecin. Tous en cinq ans ont gagné en maturité vocale et en présence scénique et se sont approprié des rôles théâtralement exigeants que le cadre de la scène rend encore plus crédibles.
Une Lettre pour Emily Dickinson. Photographie © Isabelle Morisseau.
En guise de lever de rideau pour cet acte unique, Olivier Dhénin a eu la bonne idée de monter le bref opéra que le compositeur Lockrem Johnson (1924-1977) a consacré à la poétesse Emily Dickinson, figure majeure de la poésie américaine, morte recluse et ignorée à 56 ans. En trente-cinq minutes et quelques scènes, le livret évoque son milieu étriqué, l’incompréhension de son père, le soutien de sa sœur Lavinia et sa rencontre avec le Colonel Thomas Higginson, une des rares personnes à avoir manifesté un peu d’intérêt pour ses écrits et qui du reste éditera deux volumes de ses poèmes (retouchés par ses soins), après sa mort. Dans cette version, une de ses lettres et leur rencontre constituent l’épicentre du drame et offre une brève lueur d’espoir pour la jeune femme, mais ils déboucheront sur une déception et son retrait définitif dans son univers mental.
La mise en scène d’Olivier Dhenin joue d’un double décor, un petit intérieur cossu et étriqué en style d’époque qui s’ouvre sur une sorte de jardin rêvé dans lequel Emily apparait en robe blanche. Il évoque ainsi d’abord le milieu petit-bourgeois austère de la poétesse, puis la respiration vite déçue que lui apporte ce personnage extérieur. L’ensemble réussit à faire exister la personnalité et le drame du personnage avec beaucoup de crédibilité. La partition efficace est prévue pour un petit ensemble de chambre, ici réduit à trois instrumentistes — piano, violon et flûte. Seule petite réserve, le choix de la version française, élaborée par le compositeur lui-même et voulue par ses représentants actuels, pose quelques problèmes de prosodie et laisse une impression confuse dans les airs malgré quelques retouches faites çà et là pour en améliorer la fluidité. Comme le prouvent les deux poèmes en langue originale mis en musique, l’anglais dans lequel l’opéra a été conçu d’abord apporterait une tout autre évidence au chant. Quoiqu’il en soit, bien défendu par une distribution très investie, Anne-Marie Suire en Emily, Alexia Macbeth en Lavinia sa sœur, Olivier Gourdy en Colonel Higginson et Alexandre Artemenko en Mr Dickinson, l’opéra, bref, mais dense, reste une belle évocation de cette figure féminine, peu connue en France.
On trouvera sous ce lien une biographie du compositeur ainsi que l’ensemble de ses partitions, libres de droits, mises à disposition par le « Lockem Johnson Estate ».
Frédéric Norac
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Mardi 5 Mars, 2024 14:09