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Théâtre des Champs-Élysées, 26 mars 2024 — Frédéric Norac

« Atys est trop heureux » : quand la musicologie renouvelle les chefs-d’œuvre

Atys. Photographie © Anne-Elise Grosbois / Centre de musique baroque de Versailles.

La musique a ce don merveilleux de vivre dans la mémoire, parfois de façon plus vivace encore que dans le présent. Pour ceux qui, comme nous, avaient découvert Atys dans la célèbre production de 1987, le souvenir en est resté si fort qu’il ne pouvait qu’affleurer à l’écoute de cette nouvelle interprétation. Comment oublier le son si raffiné de William Christie et des Arts Florissants, la magie de la mise en scène de Jean-Marie Villégier et un plateau vocal merveilleusement homogène ?

Dans cette nouvelle version, revue à l’aune de nouvelles recherches musicologiques et d’une pratique du répertoire quasiment quarantenaire, l’instrumentarium a entièrement été repensé. Désormais, seuls les instruments à cordes sont admis dans la fosse. Les instruments à vent n’apparaissent que sur le plateau telle la banda italienne, ne participant pas à la texture orchestrale elle-même1 que lorsque la partition l’indique de façon explicite. Parmi les flûtes et les hautbois figurent également des cromornes dont les sonorités ajoutent un rien de rusticité au petit ensemble. Le style vocal admet moins d’ornements, selon la volonté de Lully, et semble privilégier la déclamation sur le chant. Mais au fond la différence essentielle n’est pas là. Elle est dans l’interprétation, car cette musique, autant qu’une autre, vit dans ses interprètes et dans leur génie personnel.

Le geste large et péremptoire d’Alexis Kossenko à la tête de son ensemble Les Ambassadeurs — La Grande Écurie génère une texture plus sèche, un rythme plus rigoureux et une agogique rapide et assez uniforme. On n’y sent pas cette ivresse quelque peu hédoniste, qui imprégnait la conception de la première production. Dans le rôle-titre, Mathias Vidal plus ténor que contreténor, est égal à lui-même, tout en énergie et en fébrilité, et convainc mieux dans le récit que dans les aspects plus lyriques du rôle où son émission peine à se calmer et à moduler. Véronique Gens en Cybèle met un peu de temps à se chauffer, mais se révèle absolument magistrale dans les scènes finales, lorsque le dépit amoureux amène la déesse à sacrifier l’être aimé. Joli soprano léger, Gwendoline Blondeel campe une Sangaride tout en fragilité qui s’affirme un peu plus également dans l’adversité. Le Célénus de Tassis Christoyannis privé de legato donne à son personnage un âge canonique qui n’est pas nécessairement celui du rôle. Sans doute eût-il mieux valu lui confier celui du Fleuve Sangar où David Witczak manque un peu de projection, de rondeur et de bonhomie et faire de ce dernier un roi jeune et plus baryton que basse. Mais il est vrai qu’ici le personnage n’est plus le joyeux « poivrot » qu’en faisait la production historique. Du côté des petits rôles, suivantes, confidents, fleuves et nymphes, on citera la Mélisse d’Eléonore Pancrazi, la Doris un peu pâle d’Hasnaa Benani, la Flore de Virginie Thomas et l’Iris de Marine Lafdal-Franc. Du côté masculin, Adrien Fournaison (Idas), Antonin Rondepierre (Zéphir), Carlos Porto (Un Grand dieu du fleuve) viennent former avec François-Olivier Jean (Phobétor) le quatuor du sommeil d’Atys, un des moments les plus magiques de la partition.

Atys. Photographie © Anne-Elise Grosbois / Centre de musique baroque de Versailles.

Le chœur formé par les Chantres et les Pages du Centre de musique baroque de Versailles, coproducteur de ce concert, complètent ce plateau d’excellent niveau qui au fil de la soirée s’affirme de plus en plus, dans cette nouvelle approche de l’opéra de Lully. Dernier d’une série de trois, ce concert devrait donner lieu à une publication en CD. Ce sera le troisième enregistrement d’un opéra longtemps ignoré à l’instar de son compositeur qui n’a pas toujours eu si bonne presse. Décidément, comme le fait dire Quinault avec une nuance de regret à Sangaride, « Atys est trop heureux ».

On pourra trouver sur le site du Centre de musique baroque de Versailles, un carnet de bord détaillant tout le travail musicologique préparatoire qui a conduit à cette nouvelle édition.

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Vendredi 29 Mars, 2024 0:06