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Théâtre des Champs-Élysées, 18 octobre 2024 — Frédéric Norac

Andrea Chénier : le vérisme triomphant d’Umberto Giordano

Riccardo Massi. Photographie © Benjamin Ealovega.

Puccini, dit-on, avait refusé le livret d’Andrea Chénier avant que Giordano ne s’en saisisse et n’en fasse un succès international et une pièce de répertoire. Pourtant stylistiquement et même sur le plan dramaturgique, nombreuses sont les scènes que l’on pourrait transposer dans un opéra du maître de Lucques. L’affrontement de Madeleine et de Gérard au 3e acte n’est pas sans évoquer celui de Scarpia et de Tosca, la célèbre « Mamma morta » y tenant lieu de prière. Le chœur féminin du premier avec l’intervention de la protagoniste sonne comme un pré-écho de l’entrée de Madame Butterfly dans l’opéra homonyme. Sans doute, Puccini fut-il rebuté par la grandiloquence avec laquelle les personnages expriment leurs sentiments et par l’évocation pour le moins sommaire et très partiale (voire tout à fait réactionnaire) de la Révolution française à travers l’épisode de La Terreur. La scène du tribunal est sans doute la plus radicale et n’est sauvée que par celle très émouvante de Madelon, la vieille femme du peuple aveugle venue offrir la vie de son unique petit-fils pour le salut de la patrie, à défaut de ne pouvoir donner de l’or. Les excès verbaux de Luigi Illica, d’évidence, ne rebutèrent pas Giordano, bien au contraire, et il composa sur cette fresque à grands traits une partition colorée et efficace, riche en thèmes mélodiques, où l’orchestre fait entendre des accents néo-wagnériens et dont le lyrisme emporté et les airs continuent de séduire les grandes voix comme le public.

Pour cette version de concert venue de Lyon, où elle a déjà été donnée à l’Auditorium le 15 octobre dernier, était réuni un trio d’exception, soutenu par d’excellents éléments de l’Opéra Studio. Dans le rôle-titre, Riccardo Massi ne manque pas de vaillance, mais son incarnation du poète exalté reste assez uniforme et la tessiture très tendue laisse entendre quelque faiblesse dans l’extrême aigu qui paraît comme voilé. Anna Pirozzi appartient à la lignée des grands spinto italiens et maîtrise à la perfection toutes les nuances du rôle de Madeleine de Coigny, tendresse, révolte, passion. Elle se taille un véritable un triomphe dans la célèbre « Mamma morta » et se révèle optimale dans les dernières scènes, tirant son partenaire vers des sommets expressifs. Le baryton mongol Amartuvshin Enkhbat impressionne par un volume phénoménal et possède l’autorité et la noirceur voulue pour le révolutionnaire Gérard, mais sa voix presque de basse manque sans doute d’un rien de ce tranchant qui caractérise les rôles de « vilains » du théâtre lyrique italien. Sophie Pondjiclis convainc dans les deux rôles de la Comtesse de Coigny au premier acte et de Madelon au troisième malgré un timbre peu coloré et menacé par une certaine grisaille. Parmi les multiples personnages qui font vivre l’intrigue, on citera le beau mezzo bien timbré de Thandiswa Mpongwana en Bersi, la mulâtresse qui veille sur Madeleine, l’Incroyable du ténor Filip Varik, l’Abbé de Robert Lewis, le baryton Pete Thanapat en Roucher et Alexander de Jong dans le double rôle de Fléville et de Mathieu. Tous caractérisent remarquablement leurs personnages, ce qui dans une version de concert n’est pas un mince atout. Du reste, c’est peut-être bien l’absence de mise en scène et de tout le folklore qu’appelle un opéra historique qui permet de se concentrer sur la partition elle-même et au-delà des aspects un peu sommaires du livret d’en apprécier les qualités. La direction engagée de Daniele Rustioni, à la tête de l’Orchestre et des chœurs de l’Opéra de Lyon impeccables une lecture vibrante pleine de contraste et d’un raffinement qui fait coexister lyrisme et drame et qui, dans sa théâtralité, supplée largement à l’absence de mise en scène.

Concert enregistré et diffusé par France-Musique le 2 novembre à 20 h

plume_07 Frédéric Norac
18 octobre 2024
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Mardi 22 Octobre, 2024 23:27