musicologie
François Buhler, 1er octobre 2024 —

Alexandra Nikolaïevna Pakhmoutova

Alexandra Nikolaevna Pakhmoutova et son mari Nikolaï Nikolaïevitch Dobronravov, à l’époque du formidable succès remporté par leur chanson « Nadejda » interprétée par l’inoubliable Anna German en 1974.

« Nadejda » interprétée par Anna German, 1974.

Alexandra Nikolaïevna Pakhmoutova, naît le 9 novembre 1929 à Beketovka, à dix-huit kilomètres de Stalingrad (aujourd’hui un quartier de la même ville, rebaptisée Volgograd en 1961, c’est-à-dire « ville sur les bords de la Volga »), comme fille cadette des quatre enfants de Nikolaï Adrianovitch Pakhmoutov (1902-1983) — un simple ouvrier d’une centrale électrique, affilié au parti, mais doué pour les arts, qui jouait de la domra, de la balalaïka et du piano, accompagnait des films muets au piano, fonda un orchestre folklorique et peignait à l’huile — et de son épouse Maria Ampleevna Kouvchinnikova-Pakhmoutova (1897-1978), devenue coiffeuse (autodidacte) après être restée veuve, avec deux enfants, de son premier mari à l’âge de vingt ans.

Pianiste et compositrice prodige dans son enfance (elle compose ses premières mélodies à trois ans et demi et sa première pièce pour piano, Les coqs chantent, à cinq ans), elle est non seulement l’une des figures les plus connues de la musique populaire soviétique depuis le début de sa carrière en 1955, suivant en cela la voie de la musique entendue dans son enfance, mais également une pianiste et compositrice classique.

Elle entre à l’École de musique de Stalingrad dès 1936 (à sept ans) où elle se rend trois fois par semaine accompagnée de sa mère, puis, en raison de l’évacuation de la famille en prévision de l’attaque de la ville par l’armée allemande pendant la Grande Guerre patriotique (Seconde Guerre mondiale), devient élève de l’école de musique de Karaganda (aujourd’hui Collège des arts Tattimbet), une ville du Kazakhstan où les Pakhmoutov arrivent après un voyage très pénible d’un mois.

Lorsqu’en 1943 la famille rentre chez elle, découvre Stalingrad en ruines et apprend que le professeur bien-aimé d’Alexandra est mort, son père l’accompagne à Moscou pour continuer ses études à ce que l’on appelait alors « l’école des enfants surdoués », c’est-à-dire à l’École centrale de musique du conservatoire d’État de Moscou, ville où elle est accueillie par des amis d’enfance de son père, la famille Spitsine qui vit elle-même en komounalka (appartement communautaire). Elle y reste jusqu’à son entrée en 1948 au prestigieux conservatoire Tchaïkovski où elle a l’occasion de rencontrer les plus grands musiciens soviétiques de l’époque et dont elle sort diplômée en 1953.

Documentaire des années 1945-1950.

Elle étudie également la composition, dès 1948 aussi, avec Vissarion Chebaline, des études qu’elle conclut en 1956 par un diplôme avec distinction et une thèse sur l’opéra Rouslan et Lioudmila de Glinka.

Elle se marie la même année avec le poète Nikolaï Nikolaïevitch Dobronravov. Tous deux connaîtront la célébrité dès le début des années 1960, voire avant.

L’œuvre de Pakhmoutova se distingue par la diversité des genres : environ 400 chansons (dont environ 70 % sur des textes de son mari, parfois en collaboration avec d’autres paroliers), des symphonies, des concertos (dont les plus connus sont le concerto pour trompette en 1955, celui pour orchestre en 1971 et le Concerto pour ensemble de cloches et orchestre « Ave Vita » en 1989), des ouvertures (Jeunesse en 1957, Thuringe en 1958, Les Joyeuses Filles en 1964, Vacances russes en 1967), des suites (la Suite russe dès 1952), des ballets (Illumination en 1973), des marches militaires glorifiant l’URSS (Marche Dynamo en 1965 ou surtout la bruyante, héroïque et pompeuse Marche du maréchal Joukov en mi bémol mineur, tirée du film La bataille de Moscou de 1985 du réalisateur Iouri Ozerov, un film dont les deux parties durent en tout 5 h 58 et dont elle a écrit seule toute la musique) et des chœurs patriotiques grandioses (parfois imités du folklore, chantés et, autant que possible, accompagnés avec l’uniforme de rigueur et toute la pompe officielle par l’orchestre de l’Armée Rouge, ses danseurs et ses innombrables balalaïkas), des ballades (Belovejskaïa Pouchtcha, en 1975), des cantates, 46 musiques de film (parmi les plus célèbres, qui attirèrent des dizaines de millions de spectateurs, celles de Trois peupliers dans la rue Pliouchtchikha de la réalisatrice Tatiana Lioznova en 1967 ou Ô sport, tu es la paix ! ou Les Olympiades 80 de Iouri Ozerov et Boris Ritchkoven 1981 pour pérenniser les Jeux olympiques d’été de Moscou en 1980, bien entendu sans faire mention du boycott d’une cinquantaine de nations suivant la proposition du président américain Jimmy Carter après le début de la guerre d’Afghanistan), de la musique pour des pièces radiophoniques et pour le théâtre, des valses, de la musique de chambre et 35 pièces de musique pour enfants.

Alexandra Pakhmoutova, Concerto pour trompette, Kirill Soldatov (trompette), Orchestre philharmonique national de Russie, sous la direction de Vladimir Spivakov. Enregistrement public, festival international de Colmar 2016.
Alexandra Pakhmoutova, Chanson de la jeunesse angoissée, paroles de Lev Oshanin, Ensemble académique de chants et de danses de l'armée russe, sous la direction d'A.V.Alexandrov, Moscou, Salle de concert Tchaïkovski, 23 février 2018.


Russe jusqu’au bout des ongles, sans influence étrangère visible, bardée de décorations et des plus hautes récompenses de l’État (plus d’une trentaine, dont trois Ordres du Mérite pour la Patrie [1e, 2e et 3e classe], deux Ordres de Lénine, deux Ordres du Drapeau Rouge du Travail, deux Prix d’État de l’URSS, un Prix d’État de la Fédération de Russie, l’Ordre de l’Amitié des Peuples, l’Ordre de Saint-André, le prix Nobel russe, l’Ordre de Francis Skorina, etc.), elle est aussi citoyenne d’honneur de six grandes villes de Russie, Artiste du Peuple, Héroïne du Travail socialiste et Artiste émérite de l’URSS ainsi que de la Fédération de Russie. Elle a également obtenu les plus hautes récompenses de l’Église orthodoxe russe (l’Ordre de Sainte-Euphrosine, grande-duchesse de Moscou, degré II) et toujours mené sa carrière en soutien inconditionnel de la propagande du régime, que ce soit celui de Lénine, de Staline et de tous ses successeurs (dont Brejnev, qui la portait aux nues), jusqu’à Poutine et sa marionnette Medvedev, et exercé une action politique telle que Secrétaire du conseil d’administration de l’Union des compositeurs d’URSS et de Russie, députée du Conseil municipal de Moscou, députée du Conseil suprême et membre du Présidium du Conseil suprême de la République socialiste fédérative soviétique de Russie, compositrice de la chanson officielle d’Adieu des XXIIe Jeux olympiques de Moscou (« Au revoir, Moscou »), etc., d’où l’abondance phénoménale de ses récompenses et des honneurs déversés sans distinction sur sa tête.

Alexandra Pakhmoutova, Marche du Maréchal Joukov, en mi bémol mineur, musique du film « La Bataille de Moscou » (1985), instrumentation de Leonty Dunaev, Orchestre militaire central du ministère de la défense de l'URSS, sous la dirfection du colonel Anatoly Maltsev.

Alexandra Nikolaïevna PakhmoutovaAlexandra Nikolaïevna Pakhmoutova en 2014.

La plupart de ses œuvres chantent les héros et les grandes réalisations du régime, comme la suite pour enfants « Lénine dans notre cœur » écrite en 1957), les cycles vocaux La Constellation de Gagarine (1968-1971, que Kabalevski appelait « l’apogée de son œuvre »), Chants sur Lénine, Patrie, etc., sur des textes le plus souvent ineptes de glorification de l’URSS écrits par son mari dans sa propre chasse aux médailles, sa musique de film sur La Famille Oulianov, ses cantates pour soli, chœur et orchestre (Vassili Tiorkine, présentée à son examen de compositionen 1953 sur le poème d’Alexandre Tvardovski et Un pays aussi beau que la jeunesse) ou celles pour chœurs d’enfants et orchestre sur les camps de pionniers et organisations patriotiques de jeunesse (par exemple « Les scouts rouges » de 1962, etc. Parmi ses chansons les plus célèbres figurent « Cuba, mon amour », à propos de la crise des missiles de Cuba  en octobre 1962, dont elle dit dans ses Souvenirs : « "Cuba, mon amour” est une chanson à propos de notre amitié envers le peuple de l’île de la Liberté, composée dans les jours où l’héroïque peuple cubain qui commençait à se construire une nouvelle vie se voyait menacé du danger d’une nouvelle intervention [américaine] » ainsi que « Et la lutte continue », composée en 1974 en hommage à Lénine et à la révolution d’Octobre. Ses convictions politiques sont certainement la principale raison pour laquelle elle est si célèbre dans son pays et, malgré son indéniable talent, presque totalement inconnue hors des frontières de sa patrie. La seconde est son invincible attirance pour la musique-spectacle facile et clinquante de bas étage du show-business qui, après avoir énormément favorisé l’avènement de sa formidable célébrité en la plaçant sous les jeux de lumière propres à ce genre, ne manquera pas après sa mort de nuire rapidement et fortement à une réputation par ailleurs méritée lorsque la scène sera vide et les spots multicolores, qu’elle aimait tant, définitivement éteints.

Final d'une soirée d'hommage à Alexandra Nikolaïevna Pakhmoutova (au piano), Salle Tchaïkovski de Moscou (pour ses 80 ans ?), diffusion télévisée 2010

 

Voir aussi l’article « Nadejda »

plume 6 François Buhler
1er octobre 2024

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