musicologie

29 août 2023 — Jean-Marc Warszawski

Vittorio Forte et Nikolai Medtner

The muse, Œuvres de Nikolai Medtner, Vittorio Forte (piano), Forgotten Melodies, cycle I, opus 38, Vier lyrische Fragmente, opus 23, 6 Contes, opus 51, The muse (arrangement du pianiste). Odradek 2023 (ODRCD 430).

Enregistré les 19-22 septembre 2022.

Après les valses de Chopin, Muzio Clementi, Robert Schumann, François Couperin, Franz Liszt, Carl Philipp Emmanuel Bach, Earl Wild, en huit cédés pratiquement tous salués avec enthousiasme par la critique, Vittorio Forte nous propose un neuvième enregistrement consacré à des œuvres de Nikolai Medtner, qui suscite à son tour des réactions très favorables. À juste titre.

Nikolai Medtner est né à Moscou en 1880. À sa sortie du conservatoire, en 1900, il entame sous les meilleurs auspices sa carrière de pianiste concertiste, et décide que ce n’est pas pour lui, qu’il sera compositeur, alors qu’il a suivi les cours de composition en parfait touriste et en gros pointillés. Dès 1903 ses œuvres sont publiées, il gagne un public et obtient une certaine reconnaissance institutionnelle. En 1921, il a déjà quarante ans, il décide de s’éloigner des troubles provoqués par la révolution d’Octobre (il s'est aussi fait naturaliser lithuanien), peut-être espère-t-il aussi faire meilleure fortune ailleurs (il a abandonné son poste de professeur de piano au conservatoire de Moscou en 1919). Ça ne marche pas à Berlin ou autres villes allemandes. Ça ne marche pas mieux à Paris malgré le soutien de Marcel Dupré et de sa fille Marguerite, pianiste. Ça ne marche pas terrible en Amérique, où Sergueï Rachmaninov lui a organisé une première tournée. Mais il apprécie l’accueil plus chaleureux qui lui est réservé à Londres et s’y installe. Il y meurt en 1951.

Nikolai Medtner a laissé un catalogue riche d’une soixantaine de numéros, exclusivement pour piano ou avec piano, dont de nombreux cycles, tels les « contes » ou les « Mélodies oubliées », ainsi que des mélodies sur des poèmes d’Alexander Pouchkine, Ivan Tourguéniev, Wolfgang Goethe, Mikhaïl Lermontov, Afanassi Fèt.

Peu sensible aux recherches esthétiques dominantes de son époque, Medtner ne sort pas du cadre tonal, même s’il ne renonce pas, de loin en loin, à la dissonance et à l’hybridation modale. Sa musique pourrait laisser le sentiment d’une alchimie synthétisant Frédéric Chopin et Gabriel Fauré d’un point d’oreille germano-russe. Mais en fait, il semble s’approprier tout le répertoire qu’il ne joua pas et qu’il recompose à son goût et à sa fantaisie. « Mélodies oubliées », « Sonata Reminiscenza » sont des titres parfaitement appropriés. Là on se dit Bach, ici, Schumann… Mais c’est du Medtner, un style original, à la navigation chromatique naturelle, d’une parfaite cohérence du premier au dernier opus, qui déroute les anticipations, sans une seule trivialité stylistique, dans des figures rythmiques extrêmement sophistiquées et complexes. Et c’est beau, très beau.

Il est certain que cette musique, passée sous les radars de la critique, n’a pas acquis la notoriété de ses qualités, malgré avoir été défendue par des monstres sacrés du piano tel Emil Gilels ou Eugene Istomin, et avoir bénéficié du mécénat du Maharajah de Mysore. Laissons de côté les réflexes idéologiques qui évitent l’interrogation des réalités, genre musicien incompris, interdit par Staline (!), écrasé par la concurrence (Rachmaninov, Scriabine)… pas de son temps ? Peut-être.

Son mysticisme certain, la détestation de la modernité musicale, contre laquelle il publie un ouvrage en 1935, ont dû aussi le marginaliser. La presse parisienne montre qu’il est joué et apprécié, même si on peut remarquer « son accent personnel [qui] ne parvient que çà et là à se libérer de formes d’emprunt » (Le Ménestrel, 21 mai 1931) ou ses « ses essais dans le style de Schumann, Schubert ou Brahms » (L’Art musical, 10 mars 1939).

Vitorio Forte est à son affaire, il y a de la belle mélodie, des parties intérieures à discriminer, de la pudeur dans l’affect, de l’intimité. Une neuvième belle réussite.

1-8. Opus 38 (1919-1922), Mélodies oubliées, pour piano, 1er cycle, 1. Sonata Reminiscenza, 2. Danza Graziosa, 3. Danza Festiva, 4. Canzona Fluviala, 5. Danza Rustica, 6. Canzona Serenata, 7. Danza silvestra, 8. Alla Reminiscenza. Céées par le compositeur au Conservatoire de Moscou (excepté 5.), en janvier 1922.

9-12. Opus 23 (1896-1911), Vier lyrische Fragmente (do mineur, la mineur, fa mineur, do mineur), dédicacés à Aleksandr Goldenweiser (Édition Russe de Musique 1910).

13-18. Opus 51 (1928, à Villes-sur-Mer), 6 contes, pour piano, 1. Allegro molto vivace al rigore di tempo e sempre leggierissimo, en mineur ; 2. Cantabile, tranquillo, en mode de la ; 3. Allegretto tranquillo e grazioso, en la majeur ; 4. Allegretto con moto flessibile en fa♯mineur ; 5.Presto en fa♯ mineur ; minor ; 6. Allegro vivace sempre al rigore di, en sol majeur, dédicacé à Posviashchtaetsia Zolushke et Ivanushke-Durachku.

19. La muse, etrait de Sept poèmes de Pouchkine, opus 29 (1913), arrangement pour piano par Vittorio Forte.

 

 Jean-Marc Warszawski
15 septermbre 2023
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