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Théâtre des Champs-Élysées, 27 mars 2023 — Frédéric Norac

Une Médée renouvelée à redécouvrir

Véronique Gens. Photographie © Sandrine Expilly / TCE.

La Médée de Marc-Antoine Charpentier n’est pas exactement une rareté. Depuis la première tentative de Jean-Claude Malgoire en 1976, elle a connu plusieurs résurrections et l’on se souvient de la production de Christie et Villégier a l’Opéra Comique en 19931 avec la regrettée Lorraine Hunt, mezzo dramatique trop tôt disparue. Toutefois, elle n’avait pas paru sur une scène française depuis une dizaine d’années.

Suivant de peu l’enregistrement d’une nouvelle intégrale avec la même distribution, à paraître chez Outhere, cette version de concert, coproduite par le CMBV, le TCE et Le Concert Spirituel se proposait de revisiter l’œuvre au regard des acquis récents de la recherche musicologique : effectif et disposition de l’orchestre, facture des instruments à vent, jeu du continuo, diapason, tempi, mais aussi déclamation du texte et ornementation.

Mis à part l’échange de place entre les vents et les violons, toutes ces nuances de détail sont difficilement perceptibles pour le non spécialiste. La soirée offre surtout l’occasion de réentendre une œuvre dont l’originalité et l’intérêt sont incontestables, même si, au plan dramatique, cet unique et tardif opéra du compositeur (1693), si l’on exclut David et Jonathas, peut paraître un peu bancal et sûrement moins réussi formellement que les grands opéras de Lully.

Le prologue est d’une redoutable platitude et paraît presque « bâclé » (en son temps le chef de ce soir l’avait d’ailleurs simplement supprimé); les deux premiers actes se perdent un peu dans les méandres d’une intrigue secondaire, développant les amours de Créuse et de Jason et la rivalité de ce dernier avec Oronte, le prince d’Argos, autre prétendant à la main de la princesse de Corinthe. Les divertissements s’y taillent la part du lion et l’argument même de la tragédie tout comme le personnage central de Médée n’y sont qu’esquissés.

Il faut attendre l’acte III pour que le drame se resserre et que le rôle-titre prenne toute sa dimension avec une extraordinaire scène de fureur où elle invoque les Enfers. Le livret de Thomas Corneille démarque nettement la pièce homonyme de son frère aîné, le Grand Corneille. Ici le Roi Créon est rendu fou par les enchantements de Médée et la princesse ne meurt qu’après lui, dans les bras de Jason, dévorée par les poisons de la robe que lui a offerte la magicienne. Par souci de décence, bien sûr, le meurtre des enfants est seulement évoqué et le livret ne s’attarde pas trop sur les états d’âme de l’héroïne qu’il montre en vengeresse froide et implacable, plutôt que comme une femme furieuse ou une mère désespérée. 

Distribuer Véronique Gens dans le rôle-titre était une évidence. Ce que la soprano, à 56 ans, peut avoir perdu de lustre vocal, avec un grave un peu faible et manquant de corps, est largement compensé par un engagement et un sens de l’incarnation qui passe par l’accentuation et par les jeu des regards. Très à l’aise dans une tessiture de haute-contre qui met en valeur son timbre brillant, Cyril Dubois compose un Jason tantôt amoureux et tantôt héroïque, et surtout quelque peu hypocrite. La Créuse de Judith van Wanroij paraît comme toujours légèrement sur la réserve mais se révèle progressivement et se montre particulièrement expressive dans son duo avec Médée et dans sa scène de mort. Thomas Dolié, avec sa voix de baryton sombre au timbre râpeux, donne beaucoup de relief à son personnage de Roi et à sa scène de folie. David Witczak enfin est un Oronte bien disant et bien chantant. Les multiples rôles de coryphées sont tenus avec compétence tant du côté féminin que masculin et l’on citera pour mémoire, la suave Jehanne Amzal dans le curieux air italien avec chœur du deuxième acte qui chante les louanges de la belle Créuse. Hervé Niquet connait bien l’œuvre qu’il a déjà défendue de nombreuses fois. Sous sa direction compétente et engagée, son ensemble orchestral et ses chœurs superlatifs servent impeccablement cette œuvre atypique qui mérite vraiment d’être (re) découverte et dont on annonce une nouvelle production à l’Opéra de Paris pour la saison 2023-2024. D’ici là, il sera possible dans quelques temps de revoir ce concert sur la chaine YouTube du Théâtre des Champs-Élysées ou sur Mezzo.

1. CD disponible sous label Harmonia Mundi.

 

plume_07 Frédéric Norac
27 mars 2023


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