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Paris, Opéra-Bastille, 20 juin 2023 — Frédéric Norac

Thomas Jolly rajeunit Roméo et Juliette

Opéra-Bastille, Roméo et Juliette en répétition. Photographie © Vincent Pontet.

La nouvelle production de Roméo et Juliette de Gounod marque deux entrées à l’Opéra-Bastille, celle de l’opéra de Gounod qui n’avait pas paru sur notre scène nationale depuis celle de Georges Lavaudant en 1985 et celle de Thomas Jolly, nouvelle coqueluche de la scène théâtrale française. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le metteur en scène ne bouscule pas vraiment l’œuvre, se contentant d’un habillage qui la modernise assez superficiellement et n’abusant pas trop des moyens High Tech qui sont sa spécialité. Son décor, un escalier monumental placé sur une tournette, pourvu de balcons latéraux, est sans doute un hommage à celui du vieil Opéra Garnier et, en tous cas, y fait nettement penser. Ses dessous ménagent quelques espaces pour les scènes intimes, le mariage secret des héros, leur nuit d’amour et la scène finale au tombeau. On admire la subtilité avec laquelle l’ensemble émerge de la pénombre dans la scène de la fête qui ouvre l’opéra grâce aux lumières très travaillées d’Antoine Travert. Le travail sur ces rideaux mouvants qui isolent les scènes intimes du reste du décor est très réussi et l’on regrette quelques maladresses, le costume peu flatteur de Juliette au premier acte, le mariage dans une barque où tandis que Frère Laurent les incite à se mettre à genoux à deux reprises, les amants s’assoient platement en lui tournant le dos, et la scène d’amour sous les draps de soie qui suscite quelques rires dans la salle.

Présentée dans la version remaniée en cinq actes de 1888, la production donne l’occasion d’entendre le ballet, souvent coupé et curieusement placé au début du quatrième acte. Avec un petit poil d’humour, Josépha Madoki en fait une fantaisie macabre très réussie où Juliette est hantée par le fantôme de Tybalt (son premier prétendant tué par Roméo) et par ceux d’autres mariées (de force sans doute comme elle). Les scènes de combat, réglées avec beaucoup de précision, sont étonnamment crédibles.

Du côté de la distribution, le Roméo hautement stylé, brillant et sans faille de Benjamin Bernheim manque un peu de chaleur dans le timbre et, malgré une certaine ressemblance, ne peut faire oublier le jeune Roberto Alagna de 1994. La Juliette d’Elsa Dreisig est avare de rondeur dans l’aigu, mais s’engage pleinement dans un personnage plus combatif que de coutume et c’est surtout dans la virtuosité que se situe sa conception du rôle, offrant une belle intensité à la scène du poison. Parmi les seconds rôles les plus marquants, citons l’excellent Frère Laurent de la basse Jean Teitgen, le subtil Stephano de Léa Desandre à qui malheureusement les déplacements font perdre un peu de sa projection dans la jolie scène de la tourterelle. Et le remarquable Mercutio de Huw Montague Randall, parfait dans le Rondo de la Reine Mab. En Capulet, la voix de Laurent Naouri donne quelques signes de tangage. Sylvie Brunet-Grupposo est une efficace Gertrude et Jérôme Boutillier s’impose dans l’épisodique rôle du Duc de Vérone. L’ensemble est mené de main de maître par le chef italien Carlo Rizzi, grand spécialiste de Gounod, puisqu’il fut le premier à avoir donné un enregistrement de Faust du même, dans sa version originale de 1859 (avec dialogues parlés).

Le choix de la version « grand opéra » s’imposait sûrement pour cette entrée au répertoire dans une salle de la dimension de Bastille, mais, avouons-le, l’opéra y perd en poésie, ce qu’il gagne en spectaculaire. Il faut porter au crédit de Thomas Jolly et de son équipe d’avoir su le gérer avec beaucoup d’à-propos et, à défaut de révolutionner la dramaturgie de l’œuvre, de lui avoir trouvé quelques équivalents modernes pour le plus grand plaisir d’un public nettement plus jeune que de coutume et dont l’adhésion au final paraît sans réserve.

Représentations jusqu’au 15 juillet. À partir du 27 juin, Francesco Demuro et Pretty Yende alternent avec Benjamin Bernheim et Elsa Dreisig.

Spectacle capté et retransmis en direct sur Culturebox/France Télévisions le 26 juin et dans les circuits UGC, CGR et certains cinémas indépendants.

plume_07 Frédéric Norac
20 juin 2023
norac@musicologie.org

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