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Wien, 11 novembre 2023 —— Jean-Luc Vannier.

Schubert, Mahler et Reger par la talentueuse Wiener Symphoniker au Musikverein

Joyce DiDonato (Mezzo-Soprano) et Ingo Metzmacher (Directeur). Photographie © Musikverein Wien - Julia Wesely.

C’est un concert en trois parties que le Musikverein proposait vendredi 10 novembre à un public viennois traditionnel mais truffé de nombreux groupes touristiques en provenance d’Asie, tous plus avides les uns que les autres de selfies minutieusement agencés dans cette imposante Grosser Musikvereinssaal.

Sous la direction de Ingo Metzmacher, la Wiener Symphoniker que nous avions entendue il y a peu dans Das Lied von der Erde interprétait en premier lieu certains des Entr’actes et le Ballettmusik Nr. 2, extraits de l’opéra Rosamunde, D 797, opus 26 de Franz Schubert. Moyen de rappeler qu’au-delà de ses « Schubertiades », les partitions d’opéra permettaient au compositeur de mettre « un peu de beurre sur les épinards », lui qui était « aussi sociable que Beethoven était misanthrope, qui aimait l’existence simple et cordiale qu’il menait avec ses camarades dans les cabarets des faubourgs de Vienne où il composait sur un coin de table, dans la fumée des cigares, avec plus d’euphorie que dans sa petite chambre » (E. Vuillermoz, Histoire de la musique, Le livre de poche, Fayard, édition complétée par J. Lonchampt, 1973, p.198).

Interprétation dans un ordre un peu inhabituel puisque se sont succédé l’Entr’acte Nr.2, le Ballettmusik Nr.2, l’Entr’acte Nr.3 et, enfin, le premier. La logique n’est pas toujours celle des nombres : la densité très symphonique de l’orchestration dans l’allegro molto moderato du premier Entr’acte, marqué par la tonalité inquiète et le registre grave tranche avec la charmante légèreté, voire la douceur rêveuse de l’andantino en si bémol majeur du célébrissime troisième — magnifique sonorité de la petite harmonie — par ces allers et retours, parfois subtilement « fantaisiés », parfois pianissimi, du thème central par les cordes. Il diffère aussi de l’andantino foncièrement rythmé du second ballet lequel suggère une étude chorégraphique : on imagine aisément quelques pointes sautillantes et autres sissones sur les exhortations aériennes de la flûte. Tout cela, nonobstant le tutti qui ponctue les quelques mesures introductives de l’Entr’acte Nr.3, dont les cordes elles-mêmes accentuent une sorte de suspens dans le déroulement de ce morceau. In fine, le premier Entr’acte à la structure plus opulente, plus affirmée donne ainsi le sentiment de conclure cette première partie du concert. On relèvera la gestuelle du maestro, auteur en outre d’un ouvrage intitulé « Keine Angst vor neuen Tönen : eine Reise in die Welt der Musik » (N’ayez pas peur des sons nouveaux : un voyage dans le monde de la musique, Taschenbuch, 2006) et sa direction à mains nues qui visait souvent à « contenir », voire à « peser » sur la Wiener Symphoniker comme s’il souhaitait conserver une version « chambriste » du trafic orchestral et ainsi « traduire sans aucune grandiloquence les messages les plus pathétiques du cœur » inhérents à la musique de Schubert (E. Vuillermoz, op. cit., p. 203).

Ingo Metzmacher (Directeur). Photographie © Musikverein Wien - Julia Wesely.

En seconde partie, Joyce DiDonato nous offrait les Rückert Lieder de Gustav Mahler : la mezzo-soprano, dont nous avions loué sans restriction la prestation en mars 2022 au Konzerthaus de Vienne pour la sortie de son CD Eden, nous avait déjà gratifié d’un superbe « Ich atmet’einen linden Duft » dans un récital nettement plus éclectique lors de cette inoubliable soirée. Sans renier son étonnante capacité à styliser une ligne de chant toujours très incarnée et puissante d’expressivité — une signature vocale qui l’a rendue célèbre — Joyce DiDonato paraît cette fois-ci perdre un peu de sa liberté interprétative afin de demeurer dans cette stricte intériorité douloureuse, cette sourde mélancolie presque susurrée des poésies de Rückert : son léger vibrato traduirait-il la résistance à cette contrainte ? Outre le « Um Mitternacht », le plus émouvant reste sans aucun doute, accompagné par le premier violon solo, son « Und ruh’in einem stillen Gebiet » du « Ich bin der Welt abhanden gekommen ». 

Après la pause, la Wiener Symphoniker déroulait les « Variations et fugue sur un thème de Mozart », opus 132 de Max Reger, un cycle orchestral sur le thème central du premier mouvement de la Sonate n11 pour piano en la majeur K. 331 de Wolfgang Amadeus Mozart et dont le troisième, « La marche turque », est probablement le plus connu.

Introduit par le hautbois et les clarinettes, le thème est fidèlement repris par les cordes dans la première variation mais les suivantes reflètent l’imaginaire et laissent s’exprimer la créativité du compositeur : le poco agitato de la seconde cède la place à un con moto plus emphatique de la troisième, ne serait que par la présence plus audible des cuivres à son début. La quatrième confirme cet enrichissement harmonique qui sera doublé d’un rythme plus tonique dans la cinquième, néanmoins la variation la plus brève du cycle. Si le sostenuto de la sixième reprend le masque de la troisième variation, il n’en suscite toutefois pas moins le sentiment d’une désarticulation « fantaisiste » avant que l’andante grazioso de la septième et, plus encore, la huitième ne réinstaurent un certain classicisme élargi, polyphonique avec la participation des pupitres, du thème central. La dimension apaisée de la neuvième ne doit pas faire illusion. La fugue finale, allegretto grazioso, est certainement la plus fascinante de ces « variations » en comparaison de celles qui la précèdent : d’une richesse inouïe qui n’égale que son élégance harmonique et son incroyable modernité tonale, le thème mozartien culmine dans la montée en puissance hymnique d’une orchestration indéniablement maestoso. Max Reger est bien de son temps : les années d’avant-guerre — la composition de Max Reger date de 1914 avant sa création à Berlin une année plus tard — ne sont-elles pas l’époque de toutes les audaces et innovations musicales en Europe si l’on veut bien penser aux œuvres de Stravinsky, Debussy, Ravel, Schönberg, Bartok, Ives ou Sibelius ?

Jean-Luc Vannier
Wien, le 11 novembre 2023
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Lundi 13 Novembre, 2023 22:09