musicologie

21 octobre 2023 —— Michaël Sebaoun.

L'Essai sur le IIIe degré de Stéphane Delplace

Delplace Stéphane, III V § I C A, Essai sur le IIIe degré (§), notamment dans la musique de Bach, suivi de quelques conseils déduits principalement de son Œuvre, applicables dans la musique néo-fonctionnelle post - 4′33''. auto-édition, 2023 [109 p. ; 11 €].

C’est une merveille devant laquelle on passe sans la voir. Un objet exprimant toute la « douleur du monde ». Un phénomène présent dans quelques-unes des plus belles pages de la musique tonale de Bach à Ravel, qui brille pourtant par son absence dans les traités d’écriture. Cette « chose », c’est, dans le Monde de la musique tonale, le IIIe degré, auquel est consacré (en partie) l’ouvrage du compositeur Stéphane Delplace, III V § I C A, essai sur le IIIe degré (§) notamment dans la musique de Bach, suivi de quelques conseils déduits principalement de son Œuvre, applicables dans la musique néo-fonctionnelle post - 4′ 33″.

Si l’accord du IIIe degré en Ut majeur dans sa plus simple expression (Mi, Sol, Si, chiffré 5) semble déjà « pourvu d’une certaine fragilité », c’est dans son état le plus dissonant (symbolisé ici par le signe §), soit, en Ut, dans une (rare) configuration verticale à 5 voix, Mi-Sol-Si-Ré-Fa, qu’il devient l’harmonie « de la plus grande douleur-douce, ou de la plus grande douceur douloureuse ».

Delplace se livre à une analyse virtuose de la morphologie de cet accord : il contient la dissonance suprême, la 9e mineure (par opposition à la seconde mineure, sans trajet, ou à la neuvième redoublée qui atténue la dissonance par trop de distance), mais il est stable donc « habitable » par sa quinte juste. Il est aussi situé à la plus grande distance (section d’or) du Ier degré si l’on suit la marche d’harmonie la plus naturelle du fonctionnement tonal (quarte ascendante puis quinte descendante). Une voix supplémentaire apporterait-elle davantage de dissonance ? Non, répond l’auteur, car un La (en se basant toujours sur le IIIe degré d’Ut majeur), formerait une quarte avec la basse (Mi-La) ; quant à une sixième voix (soit Do), elle engendrerait une consonance de sixte avec la basse (Mi-Do). Une huitième voix ramènerait enfin à une doublure de la basse.

L’auteur rappelle que la note Fa est la 1re note dans l’ordre des quintes pour constituer le mode d’Ut majeur ; et c’est précisément ce Fa (toujours dans la disposition Mi-Sol-Si--Fa) qui parvient au maximum de la « douleur » par l’accord du IIIe § degré…

Si un grand nombre de compositeurs, constate Delplace, sont restés indifférents à ce degré faible, d’autres, tels Ravel, Brahms ou Malhler furent sensibles à sa beauté. Mais c’est Bach, dont cet ouvrage propose un grand nombre d’analyses d’extraits de sa musique en relation avec le IIIe degré, qui occupe la place centrale.

La seconde partie de l’ouvrage expose des notions harmoniques (enchaînements « naturels » ou « maladroits » des degrés), mélodiques (notes « réelles », notes « étrangères »), et touche à un point essentiel, la recherche du maximum de dissonances au sein de la langue tonale. Ajoutons que si les notions rythmiques ne sont pas traitées ici, l’auteur conseille l’usage des métriques irrégulières, permettant « d’échapper salutairement à la datation de l’écriture ».

Techniques pour moduler (anticiper la modulation en conditionnant l’auditeur avec le « prénom » de la note), regards sur les marches d’harmonie (pourquoi se limiter au traditionnel « 3 segments » ? Bach en propose six dans son 5e Concerto Brandebourgeois!), exemples savoureux de fausses relations d’octave, typiques de Brahms selon l’auteur, notions de contrepoint (prévalence de la direction mélodique sur l’intervalle), précèdent une section intitulée Composition, art poétique en quelque sorte.

L’auteur recommande une grande concentration du matériau, et le traitement d’une même cellule sous toutes ses coutures. Il faudra en réserver la présentation la plus expressive à un moment particulier de la pièce, qui se situera probablement autour de la section d’or. Le compositeur agit alors en « tailleur », agençant les parties écrites isolément.

Ne pas perdre la Fonction, mais la pousser dans ses retranchements ; se méfier des modes à transpositions limitées ; se défier de la recherche constante de l’exceptionnel ; relier imagination et concept (la grande basse conjointe ascendante du début du Quatuor à cordes de Ravel).

Un principe supérieur semble commun à tous ces paramètres : Musique=dissonance/Dissonance=musique, dans la gageure d’une musique néo-fonctionnelle, après le « trou noir » des 4′ 33″ de silence du 29 août 1952 de John Cage.

Ce principe est lui-même dépassé par une vue ultime, énoncée par le compositeur à la fin de l’ouvrage : « Ne jamais perdre de vue qu’il s’agit pour chaque compositeur de parvenir à écrire un jour une musique si émouvante qu’on ne puisse en soutenir l’audition ». Et Stéphane Delplace de citer, entre autres, Bach, dans sa Fantaisie et Fugue BWV 542 et Brahms, à la fin de son Geistliches Liedopus 30. Nous pensons pour notre part que le compositeur Stéphane Delplace atteint à un sommet d’intensité émotionnelle dans sa Marche funèbre, pour cordes.

En vente sur le site de l'auteur

  Michaël Sebaoun
21 octobre 2023.
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