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Opéra Comique, 15 décembre 2023 — Frédéric Norac.

Fantasio : un Offenbach romantique ?

Fantasio. Photographie © S. Brion.

Fantasio (1872) appartient à la dernière période créatrice d’Offenbach, celle où le compositeur de plus en plus tenté par l’opéra-comique élargit sa palette musicale et dépasse les formes imposées de l’opéra-bouffe et de l’opérette comme le montrent les deux airs du protagoniste au premier acte et son duo avec la Princesse au dernier, d’une longueur inaccoutumée et dont le développement n’a plus rien à voir avec les airs à couplets des années 1850, sans compter avec des finales d’acte d’une grande complexité.

Basé sur une pièce du théâtre « dans un fauteuil « d’Alfred de Musset de 1833, revue par son frère Paul en 1866 pour son entrée au répertoire de la Comédie-Française, le livret, adapté par ce dernier, porte la trace de cet héritage romantique, réutilisant tel quel par endroits le texte original, reconnaissable à son langage sophistiqué, comme dans la « Ballade à la lune » dont il ne garde que quelques couplets, et dont la tonalité et la prosodie ont parfois un peu de mal à se couler dans le moule mélodique d’Offenbach.

Le héros, Fantasio, incarné par un mezzo, mais initialement pensé pour un ténor, est une figure de l’ennui des « petits enfants du siècle », un rien nihiliste et dégoûté du monde, à qui pour les besoins de la cause on a tout de même inventé une affaire sentimentale avec la Princesse Elsbeth. Son père, le Roi de Bavière, voudrait la marier au Prince de Mantoue, pour sortir de la guerre. Par le truchement d’un travestissement en bouffon du roi, le héros réussira à séduire la Princesse, faire échouer le mariage et rétablir la paix, dans une fin en queue de poisson, sur un hymne à la folie, dont le compositeur avait le secret.

Bien sûr l’Offenbach bouffe n’est jamais très loin, le Prince de Mantoue et son aide de camp Marinoni forment un duo absurde ridicule à souhait très réjouissant. Le Roi de Bavière, rôle essentiellement parlé n’est pas en reste avec son secrétaire Rutten. Le compositeur invente quelques airs piquants, notamment pour la Princesse Elsbeth. Plus original ce groupe d’étudiants, menés par Sparck, aux accents quelque peu révolutionnaires et qui semblent l’écho des multiples soulèvements qui ont secoué le XIXe siècle jusqu’à la Commune, ainsi qu’une apparition du peuple, bien sûr pusillanime et moutonnier, dès le premier acte. Tout cela forme une œuvre très originale et quelque peu hybride qui déconcerta le public de l’époque et fut la cible de la critique dans une période où, après l’humiliation de la défaite de 1870, Offenbach, associé à l’Empire et Allemand d’origine, n’était plus en odeur de sainteté.

Gaëlle Arquez (Fantasio). Photographie © Stefan Brion.

Avec cet étonnant patchwork, la production de l’Opéra-Comique réussit une de ses meilleures productions. Créée en 2017 au Châtelet alors que Favart était en travaux, elle a déjà quelque peu circulé (Genève, Rouen, Montpellier, Zagreb), mais elle retrouve sa fraîcheur dans l’écrin d’une salle qui lui donne une présence supplémentaire.

La réussite doit beaucoup au travail de Thomas Jolly, qui à partir d’un décor unique — escalier donnant sur un oculus en fond de scène qui s’ouvre pour évoquer les différentes ambiances et lieux de l’action —, créée une mise en scène fluide et évidente. Quelques accessoires, cages ou chariots mobiles manipulés à vue complètent habilement le décor selon les scènes. Rien d’ostensible dans cette vision qui est entièrement au service de l’œuvre et en saisit avec autant de brio l’humour que la poésie.

Il faut dire que l’ensemble est soutenu par une distribution de premier plan. Si dans le rôle-titre, Gaëlle Arquez ne fera pas oublier le Fantasio nettement plus « masculin » et léger, y compris vocalement, de Marianne Crebassa en 2017, elle ne démérite pas par la beauté du timbre et la qualité du chant, mais manque un peu de naturel dans les dialogues. Jodie Devos est excellente comédienne et caractérise avec bonheur sa Princesse résignée et tristounette qui s’échauffe et s’éveille à l’amour, s’affirmant brillamment dans les vocalises de ses airs colorature. Aussi désopilant dans le dialogue que remarquable chanteur, Jean-Sébastien Bou est un Prince de Mantoue d’anthologie à qui François Rougier en Marinoni donne une réplique à sa hauteur. Signalons encore le remarquable quatuor des étudiants (Matthieu Justine, Yoann le Lan, Virgile Frannais) mené par le Sparck tonitruant de Thomas Dollié qui s’offre le luxe de faire le cochon pendu dans son premier air. Ajoutons la désopilante Flamel d’Anna Reinhold et les excellents rôles parlés, Frank Leguérinel en roi de Bavière et François Bayeux dans le triple rôle de Rutten, du tailleur et du garde de la prison.

Comme toujours, l’ensemble Aèdes est remarquable de clarté dans l’articulation et d’homogénéité vocale. Mais tout cela ne serait rien sans la direction souple et raffinée de Laurent Campellone qui fait vivre la musique d’Offenbach dans toute sa splendeur et son originalité à la tête d’Orchestre de chambre de Paris des grands soirs. On l’aura compris, cette production est un cadeau de choix pour une fin d’année joyeuse et festive. Dommage que les représentations s’arrêtent au 23 décembre ! Ceux qui ne pourront pas y être pourront se consoler en écoutant l’enregistrement paru chez Opera Rara en 2014 ou pour les abonnés de la chaîne Medici, visionner la captation du spectacle du Châtelet de 2017, à moins que quelque chaîne publique n’est l’heureuse idée de poser ses caméras Salle Favart dans les jours qui viennent.

plume_07 Frédéric Norac
15 décembre 2023
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Dimanche 17 Décembre, 2023 1:53