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Théâtre des Champs-Élysées, 11 octobre 2023 — Frédéric Norac.

Entre réalisme et magie : La Cenerentola de Damiano Michieletto

La Cenerentola. Photographie © Vincent Poncet.

Dans le programme de salle, Damiano Michieletto parle, à propos de sa mise en scène de La Cenerentola, de « réalisme magique ». Certes le réalisme est bien présent dans sa transposition « contemporaine » du livret de Ferretti. Le palais « mezzo crollato »1 de Magnifico est devenu une sinistre cafétéria dont Cenerentola est l’unique employée et celui de Prince Ramiro le bar chic et branché, où celui-ci, transformé en vedette de cinéma affolant ses groupies (les choristes masculins en travesti) et les messieurs de sa suite boivent des cocktails préparés par de jolies barmaids. L’autre face de ce réalisme, c’est bien sûr la violence de Don Magnifico dont il fait une brute alcoolisée qui terrifie ses filles (elles-mêmes bien peu sympathiques) et maltraite l’héroïne de façon tout à fait révoltante dès les premières scènes. La magie est bien sûr représentée par Alidoro, le précepteur du Prince, deux ex-machina littéralement tombé du ciel, dont on ne saura pas finalement ce qu’il représente (Dieu, le destin, la justice immanente ou simplement Éros avec ses flèches), mais dont la machination va conduire au « Triomphe de la bonté », sous-titre de l’opéra de Rossini.

L’idée n’est pas inintéressante, mais elle ne suffit pas à donner un sens au conte et peine un peu à se concrétiser dans la mise en scène qui joue beaucoup sur des gags exogènes et ne rend pas vraiment justice à l’humour intrinsèque du livret, voire l’interprète souvent à contresens. La conclusion qui se résume à un simple gag le montre bien. Pendant son rondo final, Angelina distribue à chacun des gants de ménage tandis que descendent des cintres des seaux en plastique et tous, protagonistes et chœur, finiront à genoux briquant le parquet sous la surveillance du Prince Ramiro, le seul avec Dandini à qui sera épargné cette punition. Si les effets spectaculaires abondent — la voiture grandeur nature du prince qui surgit du fond de scène pendant l’orage, l’échange des deux décors qui s’élèvent et se superposent révélant une certaine identité, la tendresse et le charme eux paraissent totalement absents.

La Cenerentola. Photographie © Vincent Poncet.

Sur le plan musical, le compte n’y est pas tout à fait non plus. Jouant sur des tempi quelque peu exagérés et des phrasés inédits, Thoman Hengelbrock anime la partition sur un mode très néobaroque assez original, à la tête d’un orchestre aux coloris pastel. Dans le rôle-titre, Marina Viotti fait valoir une musicalité sans faille, jouant beaucoup sur des variations vers l’aigu et des cadences de son cru, souvent hors style, pour s’approprier un rôle un peu grave pour elle et auquel elle ne donne pas toujours le relief attendu. Levy Sekgapane paraît également un peu léger en Ramiro pour lequel lui manque un médium un peu plus nourri et il ne s’impose vraiment que dans ses airs, disparaissant quelque peu dans les ensembles. Le Magnifico de Peter Kalman est vocalement à l’image du personnage voulu par le metteur en scène, voix imposante et sombre, mais plus « méchant que bête » et donc sans bonhomie ni rondeur vocale, ce qui se traduit par une tendance trop marquée au « parlato » dans les récitatifs comme dans ses airs. Le jeune baryton Edward Nelson possède sur le bout des doigts le mélange de cynisme et d’humour qui font les grands Dandini, mais il maîtrise plus qu’il ne joue avec, la colorature rossinienne pour laquelle il paraît encore un peu raide, offrant tout de même un superbe relief à son personnage de valet insolent. Enfin la splendide voix de basse d’Alexandros Stavrakakis et sa longueur de souffle lui permettent certes d’assurer le grand air d’Alidoro à la fin du premier tableau, mais la souplesse lui fait défaut pour en assurer les coloratures. Le chœur masculin de l’ensemble Balthasar Neumann fait preuve d’une belle homogénéité, mais avec vingt-deux voix paraît un peu disproportionné pour une œuvre de ce format. À en juger par le beau succès de la production et des interprètes au final, la magie rossinienne a fonctionné pour le public. La critique, elle, est sans doute toujours un peu trop réaliste.

Prochaines représentations les 13, 15, 17 et 19 octobre.

1. « à moitié en ruines »

plume_07 Frédéric Norac
11 octobre 2023
norac@musicologie.org
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