València, Les Arts, 4 mars 2023, par Frédéric Léolla.
Don Giovanni, València, Palau de les Arts, mars 2023. © Capture d'écran / Les Arts.
Est-ce bien pour attirer de nouveaux publics que l’on fait appel à certains metteurs en scène ? Le doute est permis. Faites-en l’expérience. Si vous êtes amateur d’opéra, faites-vous accompagner par quelqu’un qui assiste pour la première fois à une œuvre aussi connue que Don Giovanni de Mozart. Vous constaterez que le néophyte ne comprend pas grand-chose à ce qui se passe sur le plateau.
Ce fut aussi le cas pour ce Don Giovanni mis en scène à Valencia par Daniele Michieletto.
Michieletto, comme tant d’autres, use et abuse du « surtexte ». C’est à dire, quand quelque chose dans le livret original ne lui convient pas et qu’il a décidé que telle phrase ou telle indication ne rentrent pas dans sa conception « à lui » de l’œuvre, soit il la supprime, soit il demande au chanteur d’avoir un comportement différent de celui suggéré par le texte et la musique, soit il introduit un personnage muet qui crée une action parallèle : tout dans le but que le spectateur comprenne « la vision du metteur en scène » - peu importe si ce même spectateur ne comprend plus l’œuvre.
Quand il s’agît d’un spectateur aguerri, qui connaît livret et partition par cœur, ces ajouts du metteur en scène peuvent irriter plus ou moins, mais il lui est encore possible de suivre le fil de l’histoire.
Quand il s’agît d’un nouveau spectateur, ayant perdu toute lisibilité à cause des ajouts, l’action devient un fatras confus qui finit par lasser.
Un exemple : à la fin du premier acte, chez don Giovanni, livret et partition indiquent que l’on danse, et que, pendant que don Giovanni danse avec Zerlina, Leporello veut forcer Masetto à danser avec lui. Michieletto remplace la danse par une sorte de jeu où tout le monde se cherche dans l’obscurité. Résultat, on ne voit pas qui chante, personne ne danse, on ne comprend rien, et on finit par se désintéresser de ce que l’on voit et l’on entend. On s’ennuie.
Encore un autre : lorsqu’au moment du « Vedrai carino », Zerlina tente de consoler Masetto en lui promettant du sexe, don Giovanni apparaît et c’est don Giovanni que Zerlina console. Certes, celui qui connaît l’œuvre va peut-être deviner que Zerlina en ce moment ne pense pas à Masetto mais à don Giovanni. Or, pour le néophyte, Zerlina a consolé don Giovanni qui est apparu comme ça, comme une fleur, alors que Masetto et Zerlina le cherchaient pour le tuer : à ne rien comprendre.
Et pourquoi don Ottavio passe son très bel air « Dal mio tesoro » à essayer d’ouvrir des portes ? Le néophyte ne comprend pas, et le spectateur habituel non plus. Seul résultat : au lieu de nous concentrer sur la très belle mélodie mozartienne, public et chanteur se sont concentrés sur ces satanées portes. L’air ennuie tout le monde et finit par passer à la trappe. Autant l’avoir coupé…
Je sais que le cher néophyte qui m’a accompagné ne retournera pas de sitôt voir un Don Giovanni. Peut-être ne retournera-t-il jamais à l’opéra en se disant qu’on n’y comprend rien et qu’on s’ennuie.
Dommage, parce qu’il y a une bonne direction d’acteurs (mérite sans doute de Gravagnola qui se charge de la reprise), avec une Elvira qui souffre, un Leporello bien dessiné avec son léger bégaiement, un don Giovanni qui a de la morgue, et une Zerlina délicieuse. Dommage aussi parce que les décors sont jolis (même si l’effet « palais tournant » s’épuise vite) et surtout permettent de renvoyer le son vers le public (avec ces décors de Fantin, Michieletto ne reprend pas la grossière erreur de sa mise en scène de Don Pasquale vue récemment à Palerme).
Don Giovanni, València, Palau de les Arts, mars 2023. © Miguel Lorenzo/Mikel Ponce/Les Arts.
Heureusement, cette mauvaise mise en scène (mauvaise puisqu’elle n’est pas fidèle à l’original, mauvaise puisqu’elle ennuie le public) était compensée par un travail musical passionné.
Minasi invite les chanteurs à prendre de petites libertés ornementales dans les da capo, tel qu’il se faisait en principe à l’époque de Mozart. Il prend lui-même des libertés dans l’instrumentation, avec la participation du clavecin aux tutti orchestraux. Il sait aussi mettre en valeur les différents pupitres (par exemple le beau basson, ou le très joli travail du violon dans l’air « Batti batti »). Ses tempi peuvent par moments nous paraître inusités, mais ils ne sont jamais dépourvus de sens. En somme, cordes et instruments ne sont pas d’époque, mais l’esprit d’époque y est. C’est la sienne, une direction passionnée qui n’oublie pourtant pas la sensualité ni les chanteurs, qu’il ne couvre jamais et qui ont la belle part dans la représentation. Pour autant, le lit sonore que Minasi crée par exemple lors de l’air « Dalla sua pace », est de toute beauté. Sans oublier un travail soigneux sur les récitatifs, empreints autant de musicalité que de théâtralité.
Et si l’orchestre semble débridé, ce n’est que lorsque l’action et la musique l’exigent, lors de la dernière rencontre entre la statue et le dissolu, créant ainsi un climat extraordinaire et cauchemardesque.
Don Giovanni, València, Palau de les Arts, mars 2023. © Capture d'écran / Les Arts.
Ruth Iniesta, qui chantait donna Anna, n’a pas une jolie voix. Elle peut même être criarde dans les aigus, et son vibrato peut aussi être gênant parfois. Par contre, elle a une vraie force dramatique, une sorte de générosité sur scène, qui nous entraîne – certes plus dans les passages intenses que dans les moments plutôt lyriques comme le « Non mi dir ».
Elsa Dreisig comme donna Elvira compose un très beau personnage, souffrant, presque au bord de la folie, comme ces personnes qui n’ont plus rien à perdre (« ho perduto la prudenza »), mais rendant bien aussi la femme éperdument amoureuse. En ce sens, son air « Mi tradì » avait tout son sens, avec son petit côté halluciné, et fut justement ovationné. D’autant plus que son timbre de voix continue d’être très joli — un peu mis à mal dans les graves, peut-être — et que Dreisig, malgré quelque petite tension pour aborder les aigus, ne fait qu’une bouchée de ses coloratures.
La Zerlina de Jacquelyn Stucker ne charma pas que Masetto et don Giovanni. Tout le public fut à ses pieds : aisance d’émission, phrasé, couleur de voix juteuse, charnue, facilité dans les ornements, art du chant… Chanteuse à suivre absolument.
Les assistants à la première n’émirent pas des avis élogieux sur Giovanni Sala – qui venait remplacer Xavier Anduaga prévu initialement comme don Ottavio. Pourtant, son « Dalla sua pace » du samedi 4 fut de haute volée. Même si ses pianissimi peuvent encore gagner en harmoniques, ce fut un des plus beaux moments de la soirée.
Le Masetto d’Adolfo Corrado fut solide comme son personnage. Belle voix barytonale, beaux moyens.
Chez Riccardo Fassi et Davide Luciano comme Leporello et Don Giovanni respectivement, il faut louer la bonne composition des personnages, la bonne articulation, la bonne intelligibilité, les jolis timbres, et en plus, chez Luciano, un volume notable et l’autorité que son rôle aussi demandait.
Mais c’est le Commendatore de Gianluca Buratto qui emporta la mise avec une voix dont les graves n’étaient peut-être pas aussi francs qu’il aurait été souhaitable pour son rôle, mais dont le volume sonore surpassait celui de ses camarades, créant un effet saisissant lors de sa scène finale.
Le Chœur de la Generalitat Valenciana — véritable institution dont tous les mélomanes valenciens se sentent fiers, à juste titre, autant que de l’Orchestre de la Comunitat Valenciana, puisque ce sont deux ensembles magnifiques que tout grand théâtre international serait heureux d’avoir pour soi — fut remarquable : à la hauteur des expectatives.
De sorte que, si l’on avait fait appel à un autre metteur en scène que le — hélas — habituel Michieletto, on aurait peut-être assisté à une superbe représentation.
València, Les Arts
4 mars 2023
par Frédéric Léolla
Valencia, samedi 4 mars 2023. Les Arts. Don Giovanni, drama giocoso in due atti. Livret de Lorenzo Da Ponte. Musique de Wolfgang Amadeus Mozart. Mise en scène de Damiano Michieletto Reprise de Eleonora Gravagnola. Décors de Paolo Fantin. Costumes de Carla Teti. Lumières de Fabio Barettin. Avec Davide Luciano (Don Giovanni), Gianluca Buratto (Il commendatore), Ruth Iniesta (Donn'Anna), Giovanni Sala (Don Ottavio), Elsa Dreisig (Donna Elvira), Riccardo Fassi (Leporello), Adolfo Corrado (Masetto), Jacquelyn Stucker (Zerlina). Chœur de la Generalitat Valenciana. Chef de Choeur Francesc Perales. Orchestre de la Comunitat Valenciana. Chef d’orchestre, Riccardo Minasi.
Lire également : Don Pasquale à Palerme : seuls contre tout (Frédéric Léolla) .
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Mardi 14 Mars, 2023 22:45