Le Touquet-Paris-Plage, Palais des Congrès, 5 novembre 2023 — Frédéric Norac.
Carmen, Palais des Congrès, Le Touquet-Paris-Plage, Noelia Ibànez. Photographie © D.R.
Mireille Laroche, bien connue pour son travail de diffusion lyrique avec La Péniche Opéra, de 1982 à 1995, avait un peu disparu des radars. Elle revient sur le devant de la scène avec cette nouvelle production de Carmen qu’elle a rebaptisée « Carmen, la Tsigane » et dit avoir voulu « moderne et universelle ».
Sa mise en scène transpose en effet l’action dans un univers contemporain « banlieusard » de friches industrielles, de lieux alternatifs et de squats, illustré par la projection en fond de scène de splendides images de « street art » dues au vidéaste Gabriele Alessandrini pour tout décor. Michel Ronvaux y ajoute des costumes bariolés pour le moins fantaisistes quelque part entre style tsigane et movida branchée qui, avouons-le, frisent un peu le ridicule dans le cas de Micaela et d’Escamillo. Sans doute l’un ou l’autre élément aurait suffi à « habiller » une mise en scène qui demeure au final assez classique, avec des jeux de scène venus parfois de la plus pure tradition comme cette corde dont Carmen ligote Don José dans sa Séguedille, là où vu le contexte on aurait plutôt imaginé des menottes. Le tout se déploie sur le plateau nu, avec l’ensemble instrumental et le chœur sur scène enfermé dans une sorte de tribune plongée dans la pénombre.
Si l’on accepte au fond assez rapidement ces choix esthétiques, l’adaptation elle-même pèche un peu par manque d’unité et laisse, au moins dans les deux premiers actes, une impression de patchwork un peu décousu. Pourquoi avoir fait dire les dialogues originaux par Don José alors que tous les autres personnages ont des textes arrangés ? Surtout, les diverses coupures mettent à mal la cohérence dramaturgique de l’opéra, notamment au deuxième acte, où la disparition du quintette des contrebandiers et surtout de l’affrontement entre Zuniga et José laissent ce dernier sans réelle motivation pour déserter, sinon de suivre Carmen dans la montagne, alors qu’il s’apprêtait à la quitter.
Carmen, Palais des Congrès, Le Touquet-Paris-Plage. Photographie © D.R.
L’arrangement musical de Takenori Nemoto pour les neuf instrumentistes de son ensemble Nigella fait la part belle aux vents, soutenus par un accordéon, une contrebasse et un violon et souffrirait sans doute un petit renfort du côté des cordes pour donner un peu plus de liant et d’ampleur aux moments lyriques. Mais telle quelle, elle suffit à porter une distribution de jeunes voix (pour la plupart issues de l’École normale de musique de Paris) tout à fait convaincante.
Dans le rôle-titre, Noelia Ibànez a pour elle un beau timbre de mezzo typiquement hispanique (qui rappelle un peu celui de Teresa Berganza avec qui elle a travaillé) et un tempérament qui ne demande qu’à s’allumer. Si elle paraît un peu sur la réserve en début de représentation, allégeant souvent l’émission, elle se libère tout à fait dans les dernières scènes et y donne la pleine mesure de ses moyens dans un rôle où, comme la plupart de ses collègues, elle débutait. Artavazd Sargsyan sait faire sentir l’évolution de son personnage dans lequel il se montre profondément investi, du soldat naïf des deux premiers actes à l’homme brisé des deux derniers. Son beau timbre très central fait merveille dans les passages lyriques comme le célèbre « Air de la fleur » mais laisse entendre un peu de tension dans les aigus des moments les plus dramatiques. La Micaela d’Adèle Berard est idéale de fraîcheur et de jeunesse avec une conduite de voix exemplaire dans son grand air de l’acte 3. Florent Bisbrouck passe de Moralès au premier acte à Escamillo au deuxième avec une incroyable facilité et impressionne par sa maîtrise de la longue tessiture de l’air du Toréador dont les graves ne semblent lui poser aucun problème. Enfin les deux comparses, Peixin Hu, Mercedes, et Ivy You Chin Siew, Frasquita, se coulent dans leur personnage de péronnelles avec beaucoup de naturel et assument également quelques répliques de personnages disparus dans cette version, avec une articulation française impeccable.
Carmen, Palais des Congrès, Le Touquet-Paris-Plage. Photographie © D.R.
Pour animer le plateau, la metteuse en scène a inventé un personnage d’enfant, sorte de petit gavroche qui accompagne les protagonistes comme un témoin dont la nécessité ne paraît pas absolue mais apporte une petite touche d’humour qui plaît au public. Du côté des chœurs qui réunissent le Chœur d’enfants Diapason et les Choristes du Touquet-Paris-Plage, malgré un travail évident et un effectif nourri, l’amateurisme pointe de temps en temps, surtout du côté des voix féminines et des ténors sans toutefois hypothéquer la réussite de l’ensemble. Au final, la production reçoit un succès mérité, ne serait-ce que pour l’effort que représente la mise en place d’une telle création dans un département, où la présence de la musique classique et de l’opéra reste très limitée. Comme le dit très justement Olivier Carreau, le président-fondateur de l’association Euphonie Musica Nigella, à l’initiative de ce projet et qui porte également depuis quinze ans une saison et un festival de printemps, cette représentation unique fera plus pour la découverte de l’art lyrique auprès d’un large public que toutes les retransmissions sur écran. Aussi brillantes soient-elles, elles n’auront jamais l’impact de la musique vivante et du contact direct avec les voix et le théâtre.
Frédéric Norac
5 novembre 2023
norac@musicologie.org
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Mardi 7 Novembre, 2023 14:35