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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 10 février 2023 — Frédéric Norac

Aux tréfonds du deuil : Orphée et Eurydice (d’après Gluck)

Orphée, Floriane Hasler. Photographie © Martin Noda.

En adaptant l’Orphée de Gluck, le compositeur Othman Louati et le metteur en scène Thomas Bouvet disent avoir voulu toucher, à travers le mythe, à l’universalité du deuil. De fait, dans cette version réduite à une heure vingt et centrée sur le (ou la) protagoniste confronté à la perte de la perte de l’être aimé, l’opéra devient une sorte de voyage intérieur au bout duquel, si Orphée rejoint Eurydice, il est bien difficile de décider s’il s’agit de la réalisation d’un fantasme ou d’une réalité. Dans un décor uniformément gris et noir animé de quelques fumerolles et par l’image projetée d’une silhouette féminine dont le visage est caché par la chevelure, la descente aux limbes devient une sorte de cérémonie statique rompue seulement par l’apparition sporadique d’un petit chœur de quatre voix.

Arrangée pour l’Ensemble Miroirs Étendus — huit instrumentistes (cordes, clarinette, cor, guitare, piano et synthétiseur et percussions), tous amplifiés —, l’œuvre privée de son ouverture démarre in medias res par la déploration d’Eurydice. Sans aucun doute, l’arrangement d’Othman Louati et notamment sa réinterprétation des passages instrumentaux, comme la descente aux Enfers mise en musique à la guitare électrique, les sonorités des instruments amplifiés mêlées aux distorsions du synthétiseur, la richesse des modulations, donnent bien la sensation de se mouvoir dans une dimension étrange entre vie et mort, à laquelle l’idée de « limbes » colle parfaitement.

Dans le rôle-titre, la mezzo Floriane Hasler donne tout le pathos souhaitable à son personnage avec une voix large et bien projetée. Excellentes aussi la soprano Mariamelle Lamagat en Eurydice et L’Amour d’Amélie Raison, d’une grande fraicheur vocale ainsi que le petit chœur dont les quatre solistes sont d’une parfaite justesse.

Orphée, Photographie © Clémence Demesme.

D’où vient alors qu’au-delà d’un certain plaisir musical, le spectacle ne convainc qu’à moitié ? C’est sans doute que les adaptateurs ont mal compris le sens de l’œuvre de Gluck en voulant en faire un opéra « naturaliste », ce qu’il n’est en aucun cas. Dans cette adaptation, le livret français de Moline parait souvent assez plat, comparé aux ambitions de la mise en scène. L’œuvre, privée de ses contrastes, finit par tomber dans une certaine monotonie dont ne nous sort que la rencontre finale entre les deux époux, la seule à être vraiment théâtralisée. La tonalité uniformément sombre de l’approche se heurte au propos d’une œuvre qui, bien que « romantisée » par le xixe siècle, notamment dans cette version basée sur l’arrangement de Berlioz pour Pauline Viardot, porte aussi la marque littéraire et musicale de son époque, même débarrassée de certains aspects « décoratifs » comme l’air léger de L’Amour ou le ballet des Ombres heureuses. Bien loin de la dimension néo-platonicienne de l’original italien, elle devient un long lamento et nous entraîne dans les tréfonds du deuil sans autre lumière que la robe blanche d’Eurydice et qu’une fin heureuse qui parait plus que jamais artificielle au milieu de ces ténèbres.

Représentations jusqu’au 18 février.

plume_07 Frédéric Norac
Paris, 10 février 2022
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