7 mars 2023 — Jean-Marc Warszawski

33 Diabelli sur 85 pour la pianiste Muriel Chemin

Muriel Chemin, Beethoven, Variations « Diabelli », opus 20. Odradek 2017 (ODRCD 349).

Enregistré au Studio Odradek, 18-21 juillet 2016.

Cet enregistrement n’est pas une nouveauté, mais nous en aimons bien les engagements. Il est difficile d’évoquer une certaine simplicité pour une musique qui ne l’est pas du tout, la retenue dans la brillance alors qu’il y a des variations de grande vélocité, d’humilité ce qui n’est pas dans le registre beethovénien. Mais nous y trouvons de la rugosité et de la vigueur, un romantisme aux deux pieds sur terre. Ce qui humanise les effets grandiloquents et accentue les épisodes dont on ne sait s’ils sont lard ou cochon, scènes de genre, comique, rageurs ou moqueurs (notamment la 23), bref une interprétation sans parfumerie.

Nous avons retiré ce cédé des étagères et de leur poussière, à l’occasion de l'enregistrement de l’intégrale des sonates que Muriel Chemin a réalisée récemment. Une interprète intrigante formée en Provence, à Paris, en Italie auprès de Maria Tipo, rien que cela, puis à Genève. Elle demeure aujourd’hui à Venise, où elle enseigne.

Sa discographie est peu commune : elle commence, de but en blanc, il y a plus de vingt ans, une intégrale des sonates de Beethoven chez Solstice et le projet s’écrase sans parachute après le troisième album et dix-huit sonates pour des raisons de maternité que le label a du mal, semble-t-il, à accepter.

Après dix-sept ans de silence discographique, elle publie chez Odrakek cet opus 20 du L van B et après une courte respiration, remet sur le métier une intégrale des sonates, cette fois au complet, qui nous a incité à revenir sur cet enregistrement, mais pas seulement, parce que les variations Diabelli ne se résument pas ces trente-trois là.

Ludwig van Beethoven, Variations sut un thème d'Anton Diabelli, opus 120, variation 26.

En 1819, le compositeur et éditeur Anton Diabelli sollicite de très nombreux collègues viennois ou y exerçant, parmi les plus réputés, afin de réaliser chacun une variation sur une petite valse de sa composition. L’opération est destinée à une opération de solidarité avec les victimes des guerres napoléoniennes.

Depuis on chante à l’unisson une rengaine bon ton bon genre : cette valse de Diabelli proche de la nullité serait pratiquement une injure au génie de Beethoven. N’exagérons pas. Mais il est vrai que Beethoven ne semble pas avoir tenu Diabelli, Diabolus-Diabelli pour les intimes à la langue pendue ironique, en bien haute estime. Mais il se met à l’ouvrage, s’interrompt pour avancer et achever des œuvres majeures, comme sa messe solennelle, s’y remet. En 1823, il livre non pas une, mais trente-trois variations.

Beethoven, était sourd comme un pot, mais ni muet ni illettré. Il parlait et ses interlocuteurs s’adressaient à lui par écrit à l’aide de carnets. Ces cahiers de conversation de 1823 (Cahiers de conversation de Beethoven, édités par Nathalie Krafft, Buchet-Chastel, Paris 2015), mentionnent « Est-ce que les bottes pour Diabelli sont prêtes ? » … puis « Demain c’est dimanche, il en a besoin pour aller parader. ». Beethoven tenait cette valse pour un « schusterfleck », un ressemelage de cordonnier, mais qui désigne en musique ironiquement, comme le terme français une « rosalie », un morceau dans lequel une partie de la mélodie est répétée plusieurs fois sans vraiment varier.

Question finances, Beethoven envisageait peut-être de vendre indépendamment ces variations à des éditeurs français ou anglais.

Beethoven

Ce sont quatre-vingt-cinq variations qui seront publiées en deux parties, sous le patronnage d’un Vaterländischer Künstlerverein (association patriotique des artistes), la première est constituée par l’opus 120 de Beethoven, la seconde des variations de 51 compositeurs, avec pour Carl Czerny une coda en plus, et deux variations pour Franz Xaver Wolfgang Mozart et Gottfried Rieger.

Parmi eux également figurent Johann Nepomuk Hummel, Franz Schubert, Václav Jan Křtitel Tomášek, Ignaz Aßmayer, Ignaz Moscheles, et le tout jeune Franz Lizt, de onze ans, déjà admirable pianiste en tournées. Contrairement à la légende il ne fut pas, à cette époque, très bien reçu par Beethoven qui ne s’est d'ailleurs pas déplacé pour aller l’écouter, et ne donc pas congratulé après le concert comme le rapporte la légende.

Il faut écouter ces autres variations tout aussi Diabolus-Diabelli que les trente-trois beethovéniennes. Il y en a d’admirables, le tout en dit un peu sur le niveau pianistique et d’écriture musicale du lieu et de l’époque, qui ne se résume pas à Beethoven.