Théâtre des Champs-Élysées, 23 avril 2022 — Frédéric Norac
Et si L’or du Rhin, si complexe à mettre en scène, avec ses naïades qui s’ébattent dans le fleuve, ses nains difformes, ses métamorphoses, ses géants, ses dieux petits et grands, tout son univers légendaire sur lequel achoppa le maître de Bayreuth lui-même lorsqu’il voulut le mettre en scène, pouvait se contenter d’une simple version de concert bien surtitrée ? C’est la question que l’on se pose au sortir de ce concert de 2 h 40 que la direction de Yannick Néguet-Seguin, à la tête de son Orchestre philharmonique de Rotterdam, porte à un degré rare d’incandescence.
Malgré l’orchestre sur le plateau, jamais le chef ne couvre ses chanteurs. Il les porte et les soutient sans faille, restituant à la partition toute sa dimension épique, la richesse de ses climats, où seules peut-être les enclumes du Nibelheim, placées en coulisses, manquent un peu d’ampleur. Si l’orchestre parait d’abord un peu raide dans les premières mesures du fameux prélude, il devient vite d’une remarquable souplesse, d’une sonorité somptueuse, caressant ou attaquant, s’allégeant ou s’enflant de toute sa puissance, sous la battue énergique et précise de son chef, et se faisant le passionnant narrateur de cette histoire riche de sous-entendus philosophiques sous ses allures de conte naïf un peu emberlificoté.
De la distribution on connaissait essentiellement le baryton-basse Michael Volle, en pleine maturité de ses moyens, qui compose un Wotan autoritaire et tourmenté, Stéphan Milling imposant Fasolt et Mikhail Petrenko, Fafner dont la noirceur compense la moindre puissance, comparé à son frère en gigantisme. On admire la Fricka pleine de dignité de Jamie Barton, le Loge insinuant et sardonique de Gerhard Siegel (à qui on pardonne aisément un peu de fatigue en fin de soirée). Jusqu’aux rôles les plus épisodiques, Donner et Froh de Thomas Lehman et Issachah Savage, la sensible Freia de Christiane Karg, l’Erda profonde et sans emphase de Wiebke Lehmkuhl , les sensuelles et naïves Filles du Rhin (Erika Balkoff, Iris van Wijnen et Maria Barakova) et le Mime geignard, mais remarquablement bien chantant du ténor Thomas Ebenstein, tous ici sont parfaitement calibrés à leurs rôles et constituent une véritable équipe, donnant l’impression d’avoir interprété leur rôle sur scène alors qu’ils n’ont ensemble que l’expérience d’un premier concert, la veille à Rotterdam.
Si chacun incarne son personnage avec autant d’intensité que le permet l’absence du théâtre, le baryton-basse coréen Samuel Youn (Alberich) est le seul à le jouer à plein physiquement, parfois même à la limite de l’histrionisme, bondissant au rythme de la musique au moment de sa transformation en crapaud, pour le grand plaisir des spectateurs.
Le TCE annonce cet Or du Rhin comme le prologue d’un Ring entier, mais, sauf erreur ou omission, La Walkyrie, deuxième journée de la Tétralogie, ne fait pas partie de la programmation du théâtre pour la saison 2022-2023. En verra-t-on à Paris le deuxième volet et quand ?
Après son entrée fracassante dans cet univers unique de la Tétralogie qui semble bien constituer un début pour Yannick Néguet-Séguin, on est très impatient de découvrir sa vision de ce monument du répertoire lyrique, celle du prologue nous ayant, tout comme le public qui lui a fait un triomphe, totalement convaincu et transporté.
Concert diffusé par France-Musique le 22 mai et en tournée à Dortmund et Baden-Baden, les 28 et 30 avril.
Captation du concert de Rotterdam (22 avril) visible en replay sur Medici TV (chaine à péage) jusqu’au 23 juillet.
Frédéric Norac
23 avril 2022
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