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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 3 juin 2022 — Frédéric Norac

Pochade opératique : Rigoletto ou Le Roi s’amuse par Deschonecompanie

Filip Jordens (Rigloletto), Karlinj Sileghem (Giovanna); Lars Corjn ( Le Roi), Tom Goossens et Esther Kouwenhoven (commédiens chanteurs), Wouter Deltour (piano). photograhie © Proko and Penka.

Un tiers de Verdi, deux grands tiers de bouffonnerie, et une pincée de Victor Hugo, c’est la recette de ce cocktail typiquement belge concocté par le dramaturge Tom Goossens et le pianiste Wouter Deltour à partir de Rigoletto et du Roi s’amuse, la pièce d’origine de l’opéra de Verdi. Si, par la grâce et l’énergie d’une excellente compagnie1, le résultat se révèle plutôt réussi, on se demande tout de même, au sortir de ce spectacle d’une heure trente-cinq, si un spectateur qui ne connaîtrait pas l’opéra de Verdi y trouverait son compte. La parodie ménage les grands airs de l’opéra, ceux de Gilda et du Duc, chantés par l’excellente soprano Esther Kouwenhoven et le ténor Lars Corijn; parfois aux limites de ses moyens en termes vocaux, mais doté d’un fort joli timbre et d’une vis comica sans pareille. Elle retranscrit les grands ensembles sur un mode rythmique où les comédiens répondent aux chanteurs avec beaucoup d’efficacité, et réussit même à évoquer la tempête du dernier tableau.

Le texte largement réécrit par Tom Goosens dans un registre burlesque, volontiers trivial, crée un amusant contrepoint au lyrisme des airs. Les situations sont traitées et commentées par deux comédiens, Tom Goosens et Karlijn Sighelem, incarnant tour à tour, sur un mode décalé, l’ensemble des personnages secondaires (les courtisans, Monterone, Giovanna, Maddalena) avec des effets burlesques tout à fait réussis. La mise en scène minimaliste, côté décor et costumes, se rattrape largement dans une direction d’acteurs sans faiblesse.

Toutefois l’intelligibilité des passages parlés, traduits du néerlandais, reste souvent aléatoire, selon le plus ou moins de familiarité des interprètes avec la langue française, ce qui gâte un peu l’effet comique recherché. Avec ses faux airs de Jacques Brel et son accent belge, Filip Jordens, au débit trop rapide, est sans doute le plus problématique dans le rôle-titre, manquant aussi un peu d’ampleur pour incarner sans accessoire le personnage mythique du bouffon, même sur un mode distancié. À en juger par les photos de la production originale sur le site de l’Athénée, Stefaan Degand avait nettement plus de corps. Quoiqu’il en soit, on s’amuse, on savoure aussi la dimension musicale qui doit beaucoup à l’accompagnement du pianiste, mais au-delà du « tour de force » de la pochade, on aimerait en savoir un peu plus, sur le but recherché : distraire l’amateur éclairé ou l’agacer, ou révéler l’opéra au néophyte ? Dans le premier cas, cela marche plutôt bien, mais le mystère demeure entier pour le second, bien que les applaudissements plutôt nourris au rideau tendent à prouver que la démarche fait mouche.

Prochaines représentations du 4 au 12 juin.

1. Il s’agit en fait de deux compagnies Deschonecompanie et Muziektheatertransparant.

plume_07 Frédéric Norac
juin 2022


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Dimanche 5 Juin, 2022 3:14