Opéra Comique, 11 juin 2022 — Frédéric Norac
Phrynée, Opéra-Comique. Photographie © S. Brion.
Non, Saint-Saëns n’est pas le compositeur que d’un seul opéra; le fameux Samson et Dalila, demeuré au répertoire. En 2017 déjà, l’Opéra Comique nous avait révélé le Timbre d’agent, une étrange comédie pseudo-fantastique sur un livret de Barbier et Carré, et la Fondation Bru-Zane s’emploie depuis quelques années à en révéler la riche production. On pourra bientôt découvrir Frédégonde, collaboration avec Guiraud achevée par Dukas, grâce à ses efforts et à ceux de l’Opéra de Tours et c’est à elle que l’on doit également la résurrection de cette Phryné.
Conçue pour le Théâtre Lyrique, elle fut finalement créée à l’Opéra Comique en 1893. En deux actes très serrés, Augé de Lassus fait le portrait de la célèbre courtisane athénienne, personnage historique qui, sous sa plume, ressemble sûrement plus à une cocotte fin de siècle qu’à une hétaïre grecque. Ce n’est pas encore Phi-Phi et son Aspasie, mais ce n’est plus tout à fait le vieil opéra-comique. Le ton léger reste distingué, ne comportant aucune grivoiserie, et la langue élégante et pleine de références montre que le librettiste était un fin lettré pétri de culture antique.
Saint-Saëns y assume et y met à profit l’héritage de l’opéra bouffe dans de remarquables ensembles (quasi rossiniens). Il caractérise ses personnages avec brio, du rôle-titre, symbole du charme et de l’esprit féminin, à Nicias, le jeune homme déluré et insolent, mais lyrique dans ses déclarations amoureuses, en passant par le pontifiant Dicéphile, l’oncle du jeune homme, savoureux mélange de ridicule et d’autorité, que la courtisane va séduire pour lui faire obtenir sa part de la fortune du vieil homme et, qui sait, peut-être l’épouser.
La séduction s’opère dans un tour de passe-passe où Phryné, ayant envoyé Dicéphile cueillir une rose, lui apparait tout à coup sous les traits d’Aphrodite, en fait par le subterfuge d’une statue modelée sur ses propres charmes dont le pouvoir suggestif vient à bout de la pruderie du vieil homme et l’oblige à renoncer à ses discours moraux.
L’argument est plutôt mince et finalement assez conventionnel, mais l’ensemble est sauvé par le brillant de la partition qui devait devenir un des plus grands succès du compositeur, ce qui conduisit André Messager à transformer les dialogues parlés originaux en récitatifs pour lui assurer une plus large diffusion.
Le résultat est une version entièrement chantée dont la physionomie globale renvoie nettement à la « comédie musicale » des années 1910, offrant une continuité parfaite dans laquelle il parait impossible de distinguer la main des deux compositeurs et qui renforce le caractère parodique et la modernité — au moins formelle — de l’œuvre.
La distribution, réunie pour cette version de concert qui fait suite à un enregistrement réalisé avec les forces de l’Opéra de Rouen, paraît absolument idéale. Anne-Catherine Gillet (se substituant à Florie Valiquette au disque) apporte au rôle-titre tout le raffinement de sa personnalité vocale élégante et son timbre fruité et sensuel. Cyrille Dubois (annoncé malade et remplacé, mais finalement présent) est idéal de clarté et de lyrisme dans le rôle de Nicias auquel son timbre lumineux confère toute la juvénilité. Thomas Dolié est un Dicéphile âpre et sombre à souhait. Tous trois font preuve d’une articulation française impeccable. C’est également le cas de Matthieu Lécroart et de son baryton sonore dans le double rôle du Héraut et d’Agoragine ainsi que de Camille Tresmontant en Cynalopex. La Lampito d’Anaïs avec un beau timbre corsé n’est pas toujours compréhensible de même que le chœur du Concert Spirituel, sans doute desservi par l’acoustique, car placé en fond d’une scène très profonde et sans gradins. À la tête de l’orchestre national d’Île-de-France, Hervé Niquet dirige avec une énergie sans faille et un sens aigu du rythme et du théâtre une version qui, annoncée pour une heure quinze, aura duré au final à peine plus d’une heure cinq, tant sa baguette est vive et rapide.
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Mardi 14 Juin, 2022 10:13