Théâtre des Champs-Élysées, 9 avril 2022— Frédéric Norac
Ludovic Tézier, Ermonela Jaho, Pene Pati. Photographie © Les Grandes Voix.
On s’étonne un peu au sortir de cette soirée triomphale que Thaïs, troisième chef-d’œuvre de Massenet, après Manon et Werther, n’ait pas eu les honneurs d’une production à l’Opéra de Paris depuis celle de Nicolas Joël, donnée Salle Favart en 1988. Alors qu’à l’Opéra Bastille, Cendrillon, œuvre charmante, mais secondaire, peine à trouver son public, la courtisane d’Alexandrie, sanctifiée par le repentir et les privations et son sauveur de moine à qui son désir fait perdre la foi et sombrer dans le désespoir, enthousiasment une salle comble, bien que proposée en simple version de concert. Certes, comparaison n’est pas raison, mais l’œuvre avec son mélange de sensualité et de religiosité, son orientalisme raffiné, son livret audacieux (inspiré d’Anatole France qui n’est pas la vieille barbe que certains imaginent), possède tous les ingrédients pour faire un grand spectacle, même si elle devait être revue par un metteur en scène contemporain et peut-être plus encore d’ailleurs dans ce cas.
Pour cette soirée, Radio-France et les Grandes Voix ont réuni une distribution de haut vol, entièrement francophone, avec pour les deux protagonistes des interprètes rompus à leurs rôles, et un chef en état de grâce.
Pierre Bleuse, à la tête d’un Orchestre national de France des grands soirs fait briller l’orchestration raffinée de Massenet, distille les subtiles ambiances de cet Orient imaginé, et porte les ensembles jusqu’à l’incandescence. La fameuse « Méditation » interprétée sans esbroufe ni sentimentalisme excessif par le premier violon Luc Héry lui vaut une véritable ovation. Il en sera de même pour tout l’orchestre et le chœur exemplaire aux saluts finaux.
Dans le rôle-titre, Ermonela Jaho captive dès son entrée (dans une magnifique robe d’or dont elle changera en deuxième partie pour un drapé de blanc), par la sensualité et l’assurance avec laquelle elle incarne son personnage. Si le timbre est un peu voilé et le bas médium faible, les aigus et les contre-notes sont projetés avec une force sidérante. Surtout la soprano donne à l’héroïne une dimension vraiment « tragique » qui compense largement quelques limites, faisant du célèbre « Air du Miroir », un moment vraiment bouleversant. Face à elle, Ludovic Tézier, fixé sur sa partition (qu’a priori il connaît par cœur), fait essentiellement exister Athanaël par sa vocalité. Son timbre de bronze, son style châtié et sa diction impeccables compensent une présence un peu monolithique qui ne l’empêche pas de communiquer beaucoup d’émotion dans les dernières scènes. Dans un rôle un peu secondaire, Pené Pati, nouvelle coqueluche du public parisien depuis son Roméo impromptu à l’Opéra-Comique, est un Nicias de grand luxe. Le jeune ténor samoan impressionne par la beauté du timbre et la qualité de son articulation française sans la moindre trace d’accent et d’une parfaite clarté. Dans les rôles secondaires, le solide Palémon de Guilhem Worms, Cassandre Berthon (Crobyle), Marilou Jacquard (Myrtale) et Marie Gautrot (Albine) complètent ce plateau exemplaire dont l’articulation française n’est pas la moindre qualité, auquel on ajoutera l’exemplaire petit chœur des Cénobites. Souhaitons que ce triomphe sans partage inspire notre scène nationale à redonner à cet opéra la place qu’il mérite à son répertoire. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’être là, France-Musique devrait diffuser ce concert en mai ou en juin dans sa saison lyrique. Ne le manquez pas.
Frédéric Norac
9 avril 2022
Deux concerts en un : Priez pour la paix — Le mariage « heureux » des deux Baptiste : Le Sicilien ou l’amour-peintre et Le Mariage forcé, de Molière et Lully par les Malins Plaisirs — « Le ciel peut attendre » : Là-Haut par Les Frivolités Parisiennes — ’âme du « bush » : Damien Pass aux Lundis musicaux.
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Mardi 12 Avril, 2022 1:02