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Opéra-Comique, 7 novembre 2022 — Frédéric Norac

Les (dés)enchantements d’Armide : Armide de Gluck vue par Lilo Baur

Véronique Gens (Armide), cheur les éléments. Photographie © S. Brion.

Dans la longue généalogie des Armide qui va du xviie siècle italien à Dvořák, celle de Gluck (1777) fait figure de sœur cadette de celle de Lully à qui elle emprunte son livret. Elle compte parmi les opéras les plus rarement montés du compositeur et sa dernière production scénique en France semble remonter à 1992, dans le cadre du festival de Versailles. Sa dernière apparition à Paris, quant à elle, date de la version de concert donnée par Marc Minkowski à la Philharmonie en 2016, faisant suite à un premier essai immortalisé par le disque en 1996.

Son retour sur la scène de l’Opéra-Comique suscitait donc la plus vive curiosité et l’on se demandait si ce remake quelque peu contesté déjà à son époque serait à la hauteur de la réussite de son aînée, considérée comme le chef-d’œuvre de Lully ?

La réponse est oui. L’Armide de Gluck est une œuvre entièrement originale où le compositeur réussit à réinterpréter le livret de Quinault dans un registre tout à fait neuf et personnel. Chez lui, l’intégration du récitatif orchestré dans un continuum dramatique, le développement des airs en véritables scènes et une approche complètement différente des divertissements, notamment celui du cinquième acte qui vient remplacer la célèbre Passacaille — une des plus hypnotiques du xviie siècle — créent un opéra entièrement nouveau. Un opéra, et non une tragédie lyrique, car avec lui nous changeons résolument d’époque. La musique domine sur le texte sans jamais toutefois l’ignorer. Chez Gluck, la psychologie des personnages, et singulièrement celle de l’héroïne tourmentée par son amour voué à l’échec par sa position fausse, prend le dessus sur le décorum mythologique et fait d’elle une femme à part entière, plus qu’une simple magicienne. Le caractère « fantastique » passe au second plan pour faire apparaître le drame humain.

Edwin Crossley-Mercer (Hidraot), choeur les éléments. Photographie © S. Brion.

Lilo Baur l’a bien compris et elle a tenté de le révéler dans une mise en scène qui ôte au rôle-titre un peu (trop) de sa noblesse, dans des jeux de scène souvent triviaux. Il faut tout l’engagement de Véronique Gens, admirable dans une scène finale où elle donne le meilleur d’elle-même, pour faire oublier des poses ridicules et un costume d’une laideur qui n’a d’équivalent que dans un décor qui pourrait également servir pour une version pauvre du Songe d’une nuit d’été ou d’un spectacle d’amateurs mettant en scène Bilbo le Hobbit ou quelque autre récit d’heroic fantasy.

Dans une esthétique de bande dessinée ou de livre de contes, mettant au centre du décor un grand arbre desséché, symbolisant sans doute l’aridité des sentiments et la réalité de la fausse île enchantée d’Armide, avec des ballets foutraques auxquels participent dans le plus joyeux désordre les chœurs, la mise en scène semble refuser la poésie et la magie pour mettre en avant une illustration volontairement pauvre et quelque peu bricolée. On finit par s’habituer à ce parti-pris qui fonctionne comme une sorte de second degré et se concentrer sur les beautés de la partition et la réussite musicale. Elle doit beaucoup à Christophe Rousset dont la direction tendue et précise met en valeur les audaces instrumentales de Gluck et toute l’originalité de son discours orchestral.

Véronique Gens (Armide), Anaïk Morel (La Haine), choeur les éléments. Photographie © S. Brion.

On ne lui reprochera que quelques passages un peu hâtifs comme cet « Air de la haine », qui ne laisse pas Anaïk Morel le temps d’en exprimer tout le suc. Le plateau est proche de l’idéal. Ce que la voix de Véronique Gens a perdu en lustre dans le registre grave est largement compensé par le style et l’expressivité. Avec une pointe d’accent british, un français étudié et un timbre aux éclats métalliques très personnel, Ian Bostridge compose un Renaud de grande classe. Dans le rôle épisodique d’Hidraot, Edwin Crossley-Mercer fait valoir sa basse imposante. Du côté des comprimari, on ne fera qu’une petite réserve sur la voix d’Anaik Morel, trop proche de celle de la protagoniste et trop légère pour donner tout son relief à son personnage. Florie Valiquette et Apolline Raï-Westphal possèdent tout le charme voulu pour leurs rôles de suivantes et de naïades. Enguerrand de Hys et Philippe Estèphe (ce dernier malgré une petite tendance à pousser un peu trop le volume vocal) composent deux paladins de bon aloi.

Une mention enfin pour l’excellent chœur Les Eléments remarquablement préparé et toujours parfaitement compréhensible. Au final on salue une soirée pleine de satisfactions malgré quelques réserves sur la mise en scène et une résurrection qui à coup sûr s’imposait.

Prochaines représentations les 9, 11, 13 et 15 novembre.

 

plume_07 Frédéric Norac
7 novembre 2022


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