Paris, Opéra Garnier, 9 février 20220
Le Nozze di Figaro. Photographie © Paris, Opéra Garnier.
La nouvelle production des Noces de Figaro de l’Opéra de Paris joue habilement du second degré. Tout se passe ici dans les loges, celle surtout la prima donna — la Contessa — dont Suzanne est l’habilleuse. Nous sommes au beau milieu du montage de l’opéra homonyme et aux troisième et quatrième actes, après un passage par les vestiaires et les tables de maquillage du chœur, la dernière scène, celle du jardin, se jouera sur le plateau nu où ne figurent que les meubles des premières scènes encore emballés.
À cette lecture actualisée, la metteuse en scène Netia Jones ajoute une touche féministe et revendicatrice. Lorsque le chœur au premier acte vient saluer le Comte pour le remercier d’avoir aboli « le droit de cuissage », c’est en fait d’une manifestation contre le harcèlement et les violences sexuelles dans le monde du théâtre dont il s’agit. Bien sûr, le Comte est un affreux macho — ce qu’il est effectivement dans le livret original — mais ici, après lui avoir pardonné ses frasques, on comprend bien que la Comtesse n’acceptera aucun compromis et s’apprête à le quitter. Elle s’est du reste habillée en homme, enfin en tailleur-pantalon, pour le lui signifier.
Pour remplacer l’air toujours coupé de Marcelline à l’acte IV « Il capro e la capretta », elle nous rappelle la tirade du même personnage chez Beaumarchais qui dénonce le comportement des hommes et le sort qu’ils font aux femmes sous forme d’une scène muette dont le texte s’affiche sur l’écran à l’avant-scène. Pourquoi pas ! Mais alors pourquoi éprouve-t-elle le besoin de montrer Suzanne en slip et en soutien gorge dans la première scène, de déshabiller ensuite la Comtesse sans la moindre pudeur et refuse-t-elle de restituer sa féminité à Cherubino (chanté par une femme) au moment où on le travestit. À moins qu’il ne s’agisse d’un acte militant, rappelant que ce sont toujours les femmes que l’on déshabille sur les plateaux de théâtre. À l’opéra, pas si souvent que ça, pourtant.
Le Nozze di Figaro. Photographie © Paris, Opéra Garnier.
Sur le plan musical, il n’y a rien à redire, la distribution est de très haut niveau. À peine peut-on trouver que la Comtesse de Maria Bengtsson manque un peu projection et que Léa Desandre semble chanter son Chérubin à cheval sur deux tessitures (mezzo ou soprano, il faut choisir). Le plus gênant n’est pas dans ces quelques petites limites, mais dans le style vocal adopté qui privilégie en permanence l’expressivité théâtrale sur la musique et donne cette impression singulière, surtout chez le Comte de Peter Mattei et le Figaro de Luca Pisaroni que, la plupart du temps, ils déclament leur rôle plus qu’ils ne le chantent, ce qui à propos de ces chanteurs hors pair (qui formaient un duo exceptionnel dans le Don Giovanni de Hanneke en 2015) ne peut être que volontaire. On se console avec la révélation de cette production, la Susanna de la Chinoise, Ying Fang, d’une musicalité superlative avec un timbre lumineux, des aigus d’une totale pureté et un style incomparable et qui, surtout, ne force jamais sa voix dont le volume n’est pas exceptionnel, mais qui passe toujours la rampe, même dans les parties les moins puissantes de la tessiture.
Si l’on a pris l’habitude, avec le triomphe des instruments d’époques et la praxis des baroqueux, d’un Mozart plus léger, plus coloré, moins « épais », l’orchestre de l’Opéra en formation « moyenne » ne démérite pas sous la direction assez vive de Gustavo Dudamel, avec des ensembles pleins de vigueur. Le chef vénézuélien, nouveau directeur musical de l’Opéra, mène à bon port une soirée agréable et réjouissante. Après la production malheureuse et copieusement huée de Christoph Marthaler en 2006, puis la tentative manquée pour ressusciter la légendaire production de Giorgio Strehler des années 70 à Bastille en 2010, celle-ci malgré quelques fantaisies inutiles (vidéos pas toujours justifiées, ballerines en tutu, ouverture du fond de scène sur le foyer de la danse que ne voient que les privilégiés de face ou de trois quarts) a peut-être quelques chances de trouver sa place au répertoire. On verra en tous cas aux reprises si le propos tient face au passage du temps et des modes.
Représentations jusqu’au 18 février.
Frédéric Norac
22 décembre 2021
La petite Apocalypse de John Adams : I was looking at the ceiling and then I saw the sky — Cosa nostra : Les Vêpres siciliennes vues par Emma Dante — Bel canto pianistique : Florent Albrecht, Marie Perbost, Chantal Santon-Jeffery — Un élixir au goût français : L’Elisir d’amore en version de concert — La Vie parisienne en version « originelle » — Un Roméo et Juliette de seconde main et de premier plan.
Tous les articles de Frédéric Norac
norac@musicologie.org
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
ISNN 2269-9910.
Vendredi 11 Février, 2022 1:24