Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 17 février 2022 — Frédéric Norac
Elsa Dreisig. Photographie © Simon Fowler.
Étoile montante de la scène lyrique, la soprano franco-danoise Elsa Dreisig donnait avec ce programme Mozart, son premier récital à Paris où on a déjà pu l’entendre dans Pamina en 2017 et Les Puritains en 2019, à l’Opéra Bastille.
Formée au CNSMD de Paris et ayant commencé sa carrière en Allemagne en 2016, elle s’est frottée à de nombreux répertoires (Puccini, Bizet, Gluck, Cherubini, Rameau) et a abordé des rôles particulièrement exigeants comme La Traviata et Anna Bolena et sera Salomé de Strauss au Festival d’Aix-en-Provence cet été.
Mozart toutefois semble bien constituer le centre de ses ambitions, comme le montre le disque qu’elle vient de lui consacrer1, où elle chante toutes les héroïnes féminines de la Trilogie Da Ponte plus La Clemenza di Tito, Idoménée et Lucio Silla. Sa voix est celle d’une jeune lyrique au médium solide, avec une belle extension dans l’aigu. Elle s’épanouit particulièrement dans les rôles centraux comme Cherubino, Zerlina, Despina, trois tessitures qui conviennent aussi bien à un mezzo léger qu’à un soprano. Sa technique et son tempérament lui permettent de prétendre aux fureurs d’un dramatique d’agilité comme Elettra d’Idomeneo où elle fait preuve en outre d’un beau sens du récitatif. Si Suzanne des Noces lui convient également assez bien, une certaine verdeur de la voix en limite le charme. Pour la Comtesse, la voix manque un peu de cette ampleur que nous ont laissé dans l’oreille une Margaret Price ou une Schwarzkopf et la noble mélancolie de l’épouse délaissée lui échappe un peu. Sa Fiordiligi est très combative, mais oublie un peu que sa colère doit être teintée de tristesse et sa Donna Elvira pourrait avoir plus de réel désespoir.
Sans doute tout cela devrait venir avec une certaine maturation des rôles, car le matériau vocal est quant à lui plus que prometteur et elle use avec suffisamment d’a propos des variations et cadences. Si l’interprète cherche à briser le rituel du concert en jouant vraiment ses rôles sur le plateau — blottie contre une violoniste pour Cherubino, prostrée sur une chaise pour Donna Elvira — elle oublie un peu qu’à l’opéra, c’est d’abord à travers la voix que doit exister le personnage et que le chant n’est pas qu’une affaire de moyens et de technique, si accomplie soit-elle, mais qu’il réclame aussi de l’intériorité.
Significativement, l’air de Cecilio « Pupille amate » extrait de Lucio Silla et originellement écrit pour un castrat, chanté avec beaucoup de délicatesse, sera sans doute le moment vraiment magique de la soirée. Dans la Sinfonia qui précède, l’orchestre de chambre de Bâle fait plus que l’accompagner, il s’affirme comme un partenaire de poids. Il en va de même dans tous les airs comme dans les ouvertures qui les précèdent (Les Noces de Figaro, Don Giovanni et Idomeneo), offrant une texture transparente et colorée, des bois et des vents souples et précis. Sans chef autre que le premier violon, Baptiste Lopez, il offre en guise de respiration dans la première partie du programme, une magnifique de la 38e symphonie « Prague », si enlevée que le public en oublie les sacro-saints codes du concert et applaudit après le premier mouvement. Après tout, pourquoi pas !
Frédéric Norac
17 février 2022
1. Mozart X3/Kammerorchester Basel, dir. Louis Langrée (Warner Classics).
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