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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 18 mars 2022 — Frédéric Norac

« Le ciel peut attendre » : Là-Haut par Les Frivolités Parisiennes

La-Haut. Photographie © Les Frivolités Parisiennes.

N’en déplaise à Pascal Neyron, le metteur en scène de cette production, on a bien du mal à voir dans Là-Haut, opérette bouffe de Maurice Yvain, créée en 1923, autre chose qu’une brillante pochade. Évariste qui, frappé d’un coup, pendant la fête de son trente-troisième anniversaire, se retrouve au Paradis (après un bref séjour au Purgatoire dont on ne saura rien), n’est ni Liliom1, ni un personnage de Huis-Clos2. C’est un de ces grands bourgeois typiques de l’époque, égocentrique et superficiel, et sa seule préoccupation, en arrivant « là-haut », est de savoir comment on y vit (les heures des repas, les distractions… etc.) et, surtout, si sa « petite femme », Emma, qu’il a laissée en bas, ne bafoue pas son amour-propre et ne le fait pas « cocu ».  « Cocu », le grand mot clef du théâtre de boulevard à quoi il faut bien le dire, ce vaudeville nous renvoie directement, plus qu’à un chemin initiatique.  Il va donc obtenir d’un saint-Pierre, « bonnasse » et dépassé par l’agitation de ses ouailles, de redescendre vingt-quatre heures sur terre pour s’en assurer et la reconquérir, accompagné d’un ange gardien, Frisotin, qui est un peu le Jean Passepartout de ce Phileas Fogg, et qui va en profiter pour s’encanailler.

La-Haut. Photographie © Les Frivolités Parisiennes.

L’image de cette éternité où tout le monde s’ennuie et singulièrement le petit chœur des élues où détonne le personnage de Maud (qui n’a jamais fauté « parce qu’elle n’avait pas d’santé ») et qui drague de façon éhontée cet Évariste qu’elle n’a pas pu avoir sur terre, est-on ne peu plus réjouissante. Albert Willemetz, sans doute le plus brillant des paroliers des Années folles, s’amuse comme un petit fou à pasticher le grand répertoire, à multiplier les clins d’œil savoureux au registre religieux et à concocter tout au long des trois actes un petit ragoût mi-gouailleur mi-lyrique qui colle à merveille à la musique inventive de Maurice Yvain dont les mélodies ont laissé de nombreux tubes dans le mémoire collective, telle la chanson du titre bien sûr (illustrée par Maurice Chevalier qui en fut le créateur) ou le fameux « Ose Anna » — entendez Hosanna ! — (ici chanté par Emma), que complètent d’étonnants ensembles comme le trio masculin « Pas de bruit, il est minuit » qui utilise la technique de la diminution rythmique à la manière d’un finaletto buffo italien, basé sur la virtuosité du chant syllabique, et que n’aurait pas désavoué Chabrier.  Ajoutez-y des finale d’acte assez sophistiqués, une mise en scène efficace dans une scénographie économique, mais suffisante, un orchestre des Frivolités Parisiennes qui restitue toute sa saveur à une orchestration nourrie, et un plateau épatant et vous aurez une soirée parisienne légère, pleine de calembours et d’à peu près qui font mouche. On saluera particulièrement l’Évariste de Mathieu Dubroca, le Frisotin de Richard Delestre (qui, peut-être, à l’instar de Dranem qui créa le rôle, en fait un peu trop, sans doute pour en honorer les mânes), l’excellente Emma de Judith Fa, la Maud de Clarisse Dalles et bien sûr le petit chœur féminin qui soutient toujours les airs les plus connus façon music-hall et ouvre le bal dans un savoureux ensemble. Et l’on souhaitera à l’ensemble des Frivolités Parisiennes qui œuvre pour le répertoire léger depuis dix ans exactement, un heureux anniversaire et une longue vie.

Représentations jusqu’au 31 mars

1. Héros de la pièce homonyme de Ferenc Molnar (1909) portée à l’écran en 1930 par Frank Borzage et en 1934 par Fritz Lang où le héros est renvoyé sur terre pour y chercher son salut compromis par ses brutalités envers sa femme et sa fille.

2. Pièce de Jean-Paul Sartre (1944).

plums_07 Frédéric Norac
18 mars 2022


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Dimanche 20 Mars, 2022 3:56