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Théâtre des Champs-Élysées, 16 mai 2022— Frédéric Norac

Le cauchemar égyptien de Jules César : Giulio Cesare in Egitto vu par Damiano Michieletto

Giulio Cesare in Egitto, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

En révisant pour Händel le vieux livret de Bussani pour le Giulio Cesare d’Antonio Sartorio (Venise, 1677), Francesco Haym ne l’a pas seulement « émondé » et resserré, il en a quelque peu dispersé l’action au point qu’il est bien difficile de décider quel est exactement le sujet de l’opéra. S’agit-il des amours de César et Cléopâtre ou de la vengeance du fils et de la femme de Pompée, assassiné par Ptolémée (en gage de son allégeance au tribun romain) ? Sommes-nous face à un opéra historique et politique (comme Venise les aimait au début de l’opéra « public »), ou bien à une histoire d’amour sur fond de mélodrame et de vendetta ?

Dans sa nouvelle production pour le TCE, Damiano Michieletto ne le décide pas et semble un peu naviguer entre les deux actions parallèles sans parvenir à les unifier dans un propos dramaturgique unique. Dans cet opéra, souvent traité avec un regard distancié et ironique (cf. Peter Sellars 1985, Nicola Hytner 1987, Laurent Pelly 2011), le metteur en scène, n’était une touche d’humour face aux stratagèmes et aux déguisements de la Reine d’Égypte pour séduire le triumvir romain, nous en montre la face la plus sombre, la plus violente. La boîte blanche dans laquelle se déroule l’action au premier acte ne s’ouvre que pour nous laisser voir l’omniprésence du fatum incarné par d’inquiétantes Parques — femmes nues aux longues chevelures qui tissent le destin des personnages.

Giulio Cesare in Egitto, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Tel Hamlet, Sesto est tourmenté par le fantôme paternel dont il lui faut endosser le costume et pour satisfaire la haine familiale et sa mère Cornélia, victime perpétuelle des assauts masculins, tuer Ptolémée aux pieds de la statue de Pompée définitivement idéalisé et ainsi devenir un homme à son tour. César pris littéralement dans les rets de ses contradictions figurés par un embrouillamini de fils rouges est obsédé par la prémonition de son futur assassinat et n’y échappe que de justesse dans un cauchemar figuré sur la scène.

Visuellement le spectacle ne manque pas de belles et fortes images, certaines très poétiques comme ce jeu de candélabres dans la rencontre amoureuse des protagonistes, ou cauchemardesques mais fascinantes, dans des ambiances remarquablement travaillées par les lumières d’Alessandro Carletti. Il y manque toutefois un concept fort.

Giulio Cesare in Egitto, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Du coup, c’est d’abord et surtout la personnalité des chanteurs que repose le plus ou moins de force des situations. Dans le rôle-titre peut-être un peu grave pour elle, Gaëlle Arquez ne démérite pas et s’impose au fil de la soirée, singulièrement dans les grands ariosos comme le fameux « Alma del Gran Pompeo » ou dans ses déclarations amoureuses. Que dire de la Cléopâtre de Sabine Devielhe, certes un peu légère pour le rôle, mais absolument sublime, de musicalité, de ductilité, de finesse, avec des aigus pianissimi cristallins, une virtuosité époustouflante dans les vocalises rapides et un timbre captivant dans les grands spianati comme son lamento « Piangero ». Seul le Sesto phénoménal de Franco Fagioli, avec ses aigus irréels, une expressivité et une bravoure inépuisables pourrait dans cette distribution lui disputer la vedette. Lucie Richardot est une Cornélia un peu âpre de timbre, comme il convient à une veuve romaine vertueuse, mais se montre laborieuse dans son dernier air. En Tolomeo, Carlo Vistoli parait un peu anonyme en dandy décadent face à l’exubérante personnalité vocale de son collègue argentin. Enfin les trois rôles secondaires sont tenus à la perfection par trois voix de grand luxe, depuis la basse sombre de Francesco Salvadori en Achilla, jusqu’au Nireno brillant du contre-ténor Paul-Antoine Bénos-Djian en passant par l’épisodique Curio d’Adrien Fournaison.

Acclamé à son arrivée dans la fosse, Philippe Jaroussky dirige sa première production scénique avec toute la souplesse souhaitable et donne une version absolument intégrale de la partition — pas moins de trois heures vingt de musique — à la tête de son Ensemble Artaserse impeccable, n’étaient des cors naturels assez périlleux dans l’air « Va tacito nascoso ». Son approche est sans doute le véritable élément unificateur d’un spectacle certes d’une grande beauté esthétique, mais un peu dispersé au plan théâtral.

Prochaines représentations les 18, 20 et 22 mai.

Spectacle repris à l’Opéra de Montpellier du 5 au 11 juin.

Une captation réalisée coproduite par Oxymore sera retransmise en différé sur Culturebox.

plume_07 Frédéric Norac
16 mai 2022
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Mercredi 18 Mai, 2022 2:25