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Théâtre des Champs-Élysées, 22 juin — Frédéric Norac

La superbe Vestale de Marina Rebeka

Marina Rebeka. Marina Rebeka. Photographie © Gil Lefauconnier.

Dans la douzième de ses Soirées de l’orchestre, Berlioz, grand admirateur de Spontini, raconte la terrible et néanmoins savoureuse histoire d’un jeune musicien de province et de sa passion pour La Vestale. Ce dernier, ayant assisté à une représentation de l’opéra de ses rêves, y voit le couronnement d’une vie pleine de déboires (que détaille la petite nouvelle) et, ne pouvant supporter de retourner à la platitude de la vie ordinaire, se suicide purement et simplement pour y échapper et finir sur le souvenir d’une soirée sublime.

Au sortir de cette version de concert, proposée par le Palazzetto Bru-Zane dans le cadre de son festival annuel, on se demandait tout de même s’il y avait vraiment matière à crier au chef-d’œuvre immortel à propos de cette première tragédie lyrique française du compositeur officiel de Napoléon. Certes, Spontini s’y révèle un brillant orchestrateur, notamment dans sa belle ouverture aux accents beethovéniens, ainsi que dans les préludes qui introduisent les grandes scènes. La richesse de l’écriture chorale est incontestable, surtout servie comme elle l’est en cette soirée par les remarquables chœurs de la Radio flamande. Il y a du sublime dans la plupart des grands airs de l’héroïne qui annoncent déjà quelque peu la mélodie bellinienne, notamment les fameux « Toi que j’implore » et « O des infortunés » à l’acte II et sa prière finale « Toi que je laisse sur la terre ». Mais à côté de cela, de nombreuses platitudes — ce finale sautillant du premier acte ou celui à trois temps du deux —, une forte sensation d’éclectisme où les réminiscences gluckistes et de Cherubini le disputent à une tentative pour construire l’œuvre en tableaux et lui donner une véritable continuité dramatique.

Le livret d’Étienne de Jouy n’est sûrement pas pour rien dans l’impression de convention et de pompiérisme qui s’attache notamment aux scènes où s’invite le décorum « romain » et où apparaissent La Grande Vestale et le Grand Pontife. La prosodie basée essentiellement sur l’alexandrin avec quelques recours à des vers plus courts pour le récitatif parait souvent bancale et l’on se demande qui, du librettiste ou du compositeur qui avait pourtant l’expérience de trois opéras sur des textes français, est responsable de tous ces hiatus.

La VestaleGaspare Spontini, La Vestale, Théâtre des Champs-Élysées, Marina Rebeka (Julia), Stanislas de Barbeyrac (Licinius), Tassis Christoyannis (Cinna), Aude Extrémo (La grande Vestale), Nicolas Courjal (Le grand pontife), David Witczak (Un consul, le chef des Aruspices), Les Talens Lyriques, Chœur de la Radio flamande, sous la direcion de Christophe Rousset. Photographie © Gil Lefauconnier.

Il faut toute l’énergie et la conviction de Christophe Rousset pour insuffler à la partition cette tension dramatique susceptible de faire oublier quelques baisses d’intérêt au fil des scènes, et on doit porter à son crédit la réussite d’une soirée dont l’autre élément glorieux est bien sûr l’incarnation du rôle-titre par Marina Rebeka. Drapée dans une vaporeuse robe blanche dont le style n’est pas sans rappeler (volontairement ?) celle de Maria Callas dans ses dernières Norma parisiennes, la soprano lettone s’impose de bout en bout comme l’interprète idéale de Julia, avec une prononciation française quasi parfaite (n’était un peu de confusion dans les scènes dramatiques du deuxième acte), un phrasé de rêve et une longueur de voix presque infinie. Certes, le timbre intrinsèquement est un peu froid, mais le style, la délicatesse des coloris le compensent largement. Face à elle, Stanislas de Barbeyrac n’a pas tout à fait la même classe. Certes, il possède cette largeur de voix qui lui permet d’affronter la tessiture très ambigüe de Licinius, à la limite entre baryton et ténor, mais il manque de brillant et de souplesse pour les aspects « vocalisant » et ne trouve vraiment le caractère héroïque du rôle que dans les toutes dernières scènes. Son comparse Tassis Christoyannis est un Cinna assez ordinaire. Leur duo au premier acte laisse une impression de confusion que renforcent les errements du cor naturel qui les accompagne. À la Grande Vestale d’Aude Extremo, on reconnaîtra une impressionnante longueur de voix, d’un grave appuyé à un aigu large et puissant, mais assez brut. Malgré une bonne voix de basse noble, Nicolas Courjal manque toutefois un peu d’autorité naturelle pour son rôle de pontife.

Basée sur l’édition critique de la partition, l’exécution fait le choix de supprimer la suite de ballet qui conclut normalement cette « tragédie lyrique » qui annonce à sa façon le grand opéra à la française des années 1820. La présence des micros laisse à penser que Bru-Zane envisage de publier un enregistrement discographique, sûrement bienvenu pour un opéra dont les quelques versions en langue originale n’ont pas réussi à supplanter le souvenir de la version italienne en son temps défendue par Maria Callas et Franco Corelli.

plume_07 Frédéric Norac
22 juin 2022
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