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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 6 mars 2022 — Frédéric Norac

Il Nerone : un « Couronnement de Poppée » parisien ?

Il Nerone. Photographie © Vincent Lappartient.

À quelques divinités près, il ne manque quasiment rien de la partition originale dans ce Nerone, adaptation inédite et « allégée » du Couronnement de Poppée dont on ne sait pas si elle fut ou non montée à Paris en 1647, par la troupe italienne que Mazarin avait fait venir pour y monter l’Orfeo de Luigi Rossi, mais dont demeurent quelques traces écrites du projet. Même le duo final, le fameux « Pur ti miro, pur ti godo », dont on doute qu’il soit de la main de Monteverdi , y figure, mais Vincent Dumestre qui a élaboré cette édition, a choisi de le réintégrer avec de nouvelles paroles en lieu et place d’un duo d’amour disparu à l’acte II.

Ces explications paraîtront bien compliquées à qui ne connaît pas bien l’ultime opéra de Monteverdi car, au fond, l’important n’est pas vraiment dans ces détails musicologiques, mais bien plutôt dans la réussite d’un spectacle qui nous restitue dans un esprit fidèle à celui de l’époque, un des chefs-d’œuvre du répertoire.

La jeune troupe qui le porte, essentiellement issue de l’Académie de l’Opéra de Paris qui le coproduit, se révèle épatante jusque dans ses moindres éléments et nous en transmet la vitalité et la richesse expressive dans un réjouissant mélange de satire et de lyrisme. Tous méritent mention depuis le Néron haut perché et insinuant du contre-ténor, Fernando Escalona, subtil mélange d’exaltation amoureuse et de folie galopante, et la Poppée sensuelle de la mezzo Marine Chagnon, voix longue au timbre captivant d’une musicalité exemplaire, jusqu’aux trois « utilités », le baryton Yiorgo Iannou, et les ténors Léo Vermot Desroches et Thomas Ricart, tour à tour soldats de Néron, familiers de Sénèque, consuls, et Mercure pour le premier, Lucano pour le second et Liberto pour le troisième . Citons la magnifique basse du Sénèque de Alejandro Balinas Vieites, le virevoltant Amour de Ksenia Prohina qui incarne aussi Valetto, et la brillante Drusilla de Martina Russomano (Fortuna au prologue). Si la large voix de l’Ottavia de Lucie Peyramaure ne s’épanouit totalement que dans ses fameux adieux, et si l’Ottone de Leopold Gillooots-Laforge paraît un peu voilé, les deux nourrices, celle de l’Impératrice, Lise Nougier (Virtù au prologue) et l’Arnalta de Léo Fernique sont parfaites, la première dans son numéro de dame réservée qui s’encanaille et la seconde avec toute la verve nécessaire à son personnage « plébéien ». Dans la fosse, les dix musiciens du Poème Harmonique — cordes frottées, harpe, orgue et claviers — les soutiennent sans faille et distillent toute la poésie d’une des plus belles partitions du Baroque italien.

Il Nerone. Photographie © Vincent Lappartient.


La mise en scène dépouillée d’Alain Françon joue de quelques accessoires, canapé de style et buste impérial doré, portrait de Sabina Poppea, et d’un jeu de coulisses et de rideaux pour évoquer les lieux de l’action, dans une époque que l’on situe volontiers dans les années 30, avec une remarquable fluidité. Elle se concentre surtout sur la direction d’acteurs et la caractérisation des personnages, bien aidée par les superbes costumes de Marie La Rocca où se reconnaît la main des ateliers de l’Opéra de Paris. « Conforme » à ce que Vincent Dumestre pense être sa fin authentique, l’opéra s’achève sur un chœur « inédit » célébrant le couronnement de Poppée tandis qu’apparaît un fond de scène maculé de « fleurs » rouge sang, sans doute un rappel de la folie meurtrière de Néron qui, selon une tradition apocryphe, devait être fatale à l’ambitieuse Sabina Poppea, peu de temps après leur mariage. L’ultime chef-d’œuvre de Monteverdi n’a pas paru sur une scène parisienne depuis la production contestée de Bob Wilson en 2014, voilà donc une occasion à ne pas manquer de le (re)découvrir, plein de sève et toujours d’une totale actualité à plus de 300 ans de sa création.

Prochaines représentations les 8, 10 et 12 mars.

Spectacle présenté à Dijon les 20, 22, 24 et 26 mars et à Amiens le 1er avril.

plums_07 Frédéric Norac
6 mars 2022


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