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Théâtre des Champs-Élysées, 1er juin 2022 — Frédéric Norac

Hulda : l’opéra symphonique de César Franck

Philharmonie de Liège, mai 2022, Hulda de César Franck.

Composée entre 1879 et 1885, Hulda, troisième tentative de César Franck dans le genre opéra, n’eut pas les honneurs de la scène du vivant du musicien et, après une création posthume dans une version tronquée à Monte-Carlo en 1894, ne devait connaître que de rares reprises au cours du xxe siècle. On comprend aisément pourquoi, à l’issue de ce concert, célébrant, avec la collaboration des institutions musicales liégeoises (Philharmonie, Opéra royal de Wallonie), le bicentenaire de la naissance du compositeur et qui ouvrait la 9e édition du festival du Palazzetto Bru-Zane.*

Basé sur une pièce du dramaturge norvégien (Björnsternje Bjornson, Hulda la boiteuse), le livret de Charles Grandmougin, ses vers de mirliton, sa langue pseudo-poétique chantournée et souvent ridicule, sa prosodie parfois problématique et ses nombreuses incohérences handicapent lourdement la crédibilité dramatique de l’œuvre.

Dans cette sombre histoire de vengeance sur fond de guerre des clans, dans une Norvège à peine sortie du paganisme, l’héroïne, Hulda, entraîne dans la mort les assassins de ses frères et de son père, les cinq frères Aslaks, et trahie par son amant le chevalier Eiolf, le fait assassiner et se suicide elle-même en se jetant dans un fjord.

Sur cette donne, Franck compose un opéra un peu éclectique de pas moins de trois heures qui gagnerait sûrement à être resserré. S’il s’y révèle un brillant orchestrateur et ne peut manquer de séduire dans des préludes aux tonalités remarquablement évocatrices, on reste assez perplexe devant son traitement de la dimension lyrique proprement dite. Le seul « grand air » de la protagoniste manque singulièrement de soutien mélodique, son duo avec son amant Eiolf à l’acte III, où certains commentateurs disent entendre des réminiscences wagnériennes, tourne court sans s’épanouir dans un moment de chant pur. Seule, peut-être, la scène de l’acte IV qui réunit Swannhilde et Eiolf à laquelle vient bientôt s’ajouter Hulda en un trio très original échappe au registre déclamatoire, basé presque exclusivement sur l’alexandrin qui reste la plupart du temps cantonné dans l’arioso.

Plus, sans doute que celle du maître de Bayreuth, c’est l’influence du grand opéra finissant qui est patente dans la recherche de la couleur locale — notamment dans certains chœurs un peu trop développés ou dans ce ballet des elfes et des ondines, certes très coloré, mais assez hors de propos au quatrième acte. On ne niera pas au compositeur une certaine efficacité dramatique, notamment dans l’épilogue, mais l’opéra n’en appellerait pas moins pour passer à la scène quelques arrangements que le compositeur eût peut-être lui-même opéré si l’occasion lui en avait été donnée.

Philharmonie de Liège mai 2022, Hulda de César Franck; Jennifer Holloway (Hulda).

Telle quelle, elle offre quelques plages réellement captivantes et des beautés, notamment orchestrales, auxquelles l’orchestre philharmonique de Liège et le chœur de chambre de Namur, dirigés avec un grand sens des contrastes et une efficacité sans faille par Gergely Madaras, rendent pleinement justice. De la distribution de grand luxe, pas moins de treize rôles, tous tenus par des chanteurs de premier plan, on retient le rôle-titre incarné avec beaucoup de conviction et une articulation française impeccable par la soprano américaine Jennifer Holloway. Dans les rôles plus épisodiques, mentionnons la très délicate Swannhilde de Judit van Wanroij, le solide Eiolf d’Edgaras Montvidas et le très expressif Gudleik de Matthieu Lécroart. Parfait le quatuor des frères, deux ténors, un baryton et une basse ; impeccable le couple « royal », Véronique Gens et Christian Helmer ainsi que la mère de Hulda (Marie Gautrot) et Ludivine Gombert (Thördis).

Déjà donné à Liège en mai dernier, l’opéra a été enregistré par le Palazzetto Bru-Zane dans la foulée pour sa riche collection d’opéras français. On pourra donc le retrouver assez rapidement au disque, ce qui est toujours une occasion de vérifier la première impression et parfois de l’ajuster et de la réévaluer.

* Parmi les raretés intéressantes proposées par cette édition, à ne pas manquer, citons Phryné de Saint-Saëns (Opéra-Comique, le 11 juin) et La Vestale de Spontini (Théâtre des Champs-Élysées, le 22 juin).

 

plume_07 Frédéric Norac
1er juin 2022


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