Théâtre des Champs-Élysées, 12 mars 2022 — Frédéric Norac
Cosi fan tutte, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.
C’est dans un studio d’enregistrement que commence le Cosi fan tutte de Laurent Pelly. Un étonnant décor réaliste que n’aurait pas désavoué Anna Viebrock, la décoratrice de Christoph Marthaler, le metteur en scène adoré de Gérard Mortier et honni du public parisien. En fait, ce décor est un leurre, car passés les prolégomènes — les chanteurs qui s’échauffent et se saluent, le technicien qui ajuste la position des micros, toute une agitation superficielle qui pose une distance avec l’œuvre et donne l’impression que la mise en scène cherche son approche — la cabine technique va s’éteindre, les techniciens disparaître, les micros et les pupitres devenir inutiles, le jeu d’acteur reprendre ses droits et les personnages pouvoir s’incarner.
Pas ou peu de costumes, sauf ceux des faux Albanais, extraordinairement travestis et comme sortis d’un rêve. Nul accessoire sinon un portant avec quelques vêtements. Au deuxième acte, le décor se transforme au fil des scènes et devient un lieu abstrait et mental reflétant les états d’âme des protagonistes, comme cette pièce en angle dont toutes les issues sont bloquées quand Fiordiligi, prise au piège de ses sentiments contradictoires, chante son grand air pathétique « Per piétà, ben mio perdona ».
Cosi fan tutte, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.
Tout ou presque repose donc sur les chanteurs et sur la tension que la direction, un peu brusque dans ses attaques d’Emmanuelle Haïm, insuffle à une interprétation tendue, plutôt dramatique, avec peu de trouées comiques. Le personnage même de Despina n’a guère de légèreté sauf dans son apparition en faux médecin remarquablement grimé, au finale de l’acte I ou en notaire dans la deuxième scène.
Annoncée malade, Vannina Santoni n’en laisse rien paraître, maîtrisant sans problème la longue tessiture de Fiordiligi, d’un grave nourri aux aigus pianissimi enchanteurs. Seul le duo après son grand air de l’acte II laisse entendre quelques traces de fatigue. La voix au vibrato large de Gaëlle Arquez n’est pas absolument idéale pour les aspects légers du rôle de Dorabella, notamment pour « Amor è un ladroncello », mais elle tient bien sa place dans les ensembles et donne un relief certain aux airs plus graves. Le timbre immaculé et les aigus aériens de Cyrille Dubois et son phrasé élégant collent admirablement à Ferrando et Florian Sempey dont la voix s’est encore étoffée, donne une belle stature à son Guglielmo, peut-être un peu trop « rentre-dedans » parfois. « Inconnue au bataillon », la Despina de Laurène Paterno manque un peu de projection, mais peut-être faut-il en accuser la conception très agitée de son personnage qui ne cesse de courir sur le plateau et auquel le costume — une triste blouse grise et des cheveux tirés — enlève quasiment toute féminité. Laurent Naouri habilement vieilli donne beaucoup de relief à son personnage de philosophe amer, avec une voix large, mais un peu explosive et sans netteté. Tous s’unissent dans des ensembles au cordeau qui sont la plus grande réussite de cette production dont on comprend bien au final que c’est la richesse musicale de partition qui a intéressé le metteur en scène et dont la cheffe a, quant à elle, pris en charge le « dramatisme », bien secondée par le pianoforte inventif de Benoit Hartoin dans les récitatifs.
Cosi fan tutte, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.
Prochaines représentations les 16, 18 et 20 mars.
Spectacle enregistré et diffusé sur France-Musique le 16 avril.
Captation audiovisuelle diffusée sur France Télévision.
Frédéric Norac
12 mars 2022
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