Cathédrale Saint-Louis des Invalides, 29 mars — Frédéric Norac
29 mars 2022 Cathédrale Saint-Louis des Invalides, Chœur de l’Armée française. Photographie © D. R.
Les concerts des Invalides ont toujours quelque chose d’étonnant, ne serait-ce que dans la composition de leurs programmes, souvent assez éclectiques. Les deux parties de celui-ci, intitulé « Prière pour la paix », n’avaient peut-être en commun que le fait de voir se succéder dans la même soirée deux formations d’obédience « militaire ». Dans la première, répondant nettement au titre, le Chœur de l’Armée française donnait un ensemble de pièces de compositeurs français du xxe siècle ayant, chacun à leur façon, été confronté à la guerre, tel Maurice Thiriet et ses trois motets (« Sub tuum », « O salutaris » et « Agnus Dei »), composés en 1940 alors qu’il était en captivité en Allemagne, d’une grande douceur et d’une hauteur spirituelle paradoxales. Le Chant des partisans d’Anna Marly, dans un arrangement peut-être un peu trop sophistiqué, perd en force émotionnelle ce qu’il gagne en style. Seuls le Psaume 121, dans la traduction peu compréhensible de Claudel, mis en musique par Milhaud dans les années 1920 et les Quatre petites prières de Saint François d’Assise, composées par Poulenc en 1948, échappaient à cette catégorie.
Les seize somptueuses voix d’hommes parfaitement homogènes se révèlent absolument impeccables dans l’ensemble de ce répertoire varié et se montrent susceptibles de se produire en soliste. Un des ténors interprète en effet le fameux « Priez pour la paix » de Francis Poulenc sur un poème de Charles d’Orléans et un baryton (qui roule encore les « r » à la vieille manière) profère, de façon un peu grandiloquente, la célèbre Prière pour nous autres charnel, aux accents bellicistes, de Péguy, mise en musique par Jehan Alain. Poète et compositeur, rappelons-le, sont tous deux morts pour la France, respectivement en 1914 et 1940.
29 mars 2022 Cathédrale Saint-Louis des Invalides, orchestre symphonique de la Garde républicaine. Photographie © D. R.
La seconde partie est sans doute celle qui réserve le plus de surprises et offre la plus grande excitation, avec un programme lui aussi tourné vers le xxe siècle dans lequel l’orchestre symphonique de la Garde républicaine se révèle une formation de haut niveau. Après le fameux Adagio de Samuel Barber que la qualité de l’interprétation et la beauté des cordes fait échapper à la banalité, nous découvrions les Images hongroises, de Belà Bartok, un ensemble de cinq mouvements, orchestrées par le compositeur en 1931 à partir plusieurs de ses pièces pour piano des années 1910, qui sont comme autant d’instantanés imagés où la fraicheur des coloris, la vivacité des rythmes, le naturel de l’inspiration populaire s’intègrent parfaitement dans une orchestration raffinée et prennent immédiatement l’auditeur sous leur charme. Il revenait à David Lively de conclure la soirée avec l’extraordinaire et rare Concerto pour piano en ré bémol majeur d’Aram Khatchatourian de 1937. Dans cette œuvre grandiose dans son inspiration, animée dès le premier mouvement d’un souffle épique et d’une certaine sauvagerie que viennent tempérer quelques réminiscences orientalisantes, notamment dans l’andante con anima, le compositeur déploie toute la palette d’une orchestration inventive où les cuivres se taillent la part du lion avec de beaux solos de saxophone ainsi qu’une partie pour flexatone, un instrument rare remplacé ici par une scie musicale dont il est un peu cousin, jouée par le corniste de l’ensemble. La partie de piano est d’une virtuosité époustouflante, exigeant du soliste une rapidité et une puissance de frappe exceptionnelles. La concentration, l’engagement, la dextérité de David Lively qui joue entièrement de mémoire (mais aurait-il le temps sinon de tourner les pages) sont proprement sidérants et d’un effet hypnotique sur l’auditoire. Sa complicité avec Sébastien Billard qui dirige sans esbroufe, mais de façon magistrale cette pièce d’une étonnante originalité, créant un moment d’une exceptionnelle intensité, est saluée avec enthousiasme par un public conquis. Le pianiste donne un bis, aussi virtuose que le concerto, dont hélas nous ignorons le titre et la provenance, faute de la culture pianistique nécessaire et faute aussi d’avoir été annoncé.
Frédéric Norac
29 mars 2022
Le mariage « heureux » des deux Baptiste : Le Sicilien ou l’amour-peintre et Le Mariage forcé, de Molière et Lully par les Malins Plaisirs — « Le ciel peut attendre » : Là-Haut par Les Frivolités Parisiennes — L’âme du « bush » : Damien Pass aux Lundis musicaux — Huis clos au studio : Cosi fan tutte au TCE.
Tous les articles de Frédéric Norac
norac@musicologie.org
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
ISNN 2269-9910.
Vendredi 1 Avril, 2022 0:32