6 octobre 2022 — Jean-Marc Warszawski
Chœur de chambre les Éléments, ensemble orchestrale Les Passions, François-Nicolas Geslot, Élodie Fonnard, Fabien Hyon, sous la direction de Jean-Marc Andrieu. Photographie © musicologie.org.
Le premier octobre dernier, derrière sa belle façade 1930, pavoisée, aux couleurs du Festival Passions baroques, le hall du Théâtre Olympe de Gouges à Montauban avait un air de soir de grand jour. Une partie du public n’ignorait apparemment pas les efforts, la pugnacité (de vingt ans dit-on), l’énergie qui furent nécessaires pour la recréation de Daphnis et Alcimadure, pastorale languedocienne1, en 3 actes, de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, maître de musique de la chambre du roi, œuvre créée à la cour de Fontainebleau le 29 octobre 1754 et le 20 novembre suivant, puis cette fois en français, à l’Académie de musique (l’opéra), en janvier 1755. L’œuvre est donnée à Versailles le 12 décembre 1764, avec une chorégraphie d’Antoine Laval, maître de ballet à l’Opéra de Paris et maître-à-danser des enfants de Louis xv. Forte de son succès, malgré la charge malveillante de Melchior Grimm accusant Mondonville de plagiat et de nullité, la pastorale semble avoir été reprise plusieurs fois.
C’est une œuvre historiquement assez paradoxale, car à la cour de France, préciosité mise à part, la qualité du texte (et sa compréhension) est essentielle, elle prime même sur la musique. De plus, en pleine Querelle des bouffons, qui oppose les partisans de la musique française aux défenseurs de la musique italienne (les Lumières s’en donnèrent à cœur joie), cet opéra à la technique vocale française, sans vocalises jugées ridicules, italianise dans sa bouffonnerie, la simplicité et la superficialité populaire du livret, parfois dans la musique, voire l'accentutation méridionale de la langue. Mondonville est perçu comme fidèle à la musique française, ce qui explique les lances vénéneuses de Grimm.
L’argument est simple : le berger Daphnis (François Nicolas Geslot) est amoureux d’Alcimadure (Élodie Fonnard) laquelle, indifférente, n’aime rien d’autre que sa liberté. Jeanet (Fabien Hyon), frère d’Alcimadure, est plus pratique : le berger est riche, c’est un bon parti. Il va manipuler son petit monde pour arriver au mariage. Travesti en capitaine il se fait passer pour le fiancé d’Alcimadure, Daphnis pour la énième fois se sent mourir… mais a encore assez d’énergie pour tuer le loup qui terrorise le coin : il devient un héros. De quoi ouvrir le cœur de l’indifférente. Jeanet étouffe cette flamme nouvelle en annonçant la mort de Daphnis. Alcimadure veut à son tour se tuer, mais Daphnis apparaît sain et sauf et plus amoureux que jamais.
Chœur de chambre les Éléments, ensemble orchestrale Les Passions, Hélène Le Corre, sous la direction de Jean-Marc Andrieu. Photographie © Christophe Sevin.
Franc divertissement sans trop de finesses, sinon musicales, c’est aussi, par la langue du livret, une promotion de la culture occitane. Mondonville est de Narbonne, il a sous la main trois artistes lyriques occitans renommés : Marie Fel (soprano) de Bordeaux, le béarnais Pierre Jélyotte (haute-contre), et le provençal Antoine Trial (haute-contre). On ne sait comment ont été réglées à l’époque leurs différentes accentuations. Le long prologue, dont le texte en français est de Claude-Henri de Fusée de Voisenon, un écrivain de cour, auteur d’un précédent livret pour Mondonville, fait chanter Clémence Isaure (Hélène Le Corre), personnage légendaire qui aurait créé les Jeux floraux2 (concours de poésie) de Toulouse au xive siècle, afin de perpétuer l’art des troubadours. Le prologue est une glorification de la nature et des Jeux floraux de Toulouse.
Daphnis et Alcimadure est le seul opéra en occitan connu, si on excepte L’Opéra de Frontignan (1678), attribué à Nicolas Fizes, en fait un florilège d’airs populaires. Daphnis et Alcimadure a été joué et enregistré en 1981, sur vinyle aujourd’hui introuvable, par l’Orchestre et le chœur national de Montpellier avec Claudine Le Coz, Ana-Maria Miranda, Jean Claude Orliac, Alatair Thompson, sous la direction de Louis Bertholon.
Chœur de chambre les Éléments, ensemble orchestrale Les Passions, François-Nicolas Geslot, Élodie Fonnard, Fabien Hyon, sous la direction de Jean-Marc Andrieu. Photographie © Auxie Boivin.
La version proposée par l’ensemble instrumental Les Passions et le chœur Les Éléments, avec Hélène Le Corre, Élodie Fonnard, François-Nicolas Geslot, Fabien Hyon, a été réalisée par Jean-Marc Andrieu à partir de l’édition de 1755. Dans l'édition des conducteurs de cette époque, l’orchestre ne comportait que le dessus et la basse, par économie de papier, mais aussi par la tradition de la basse chiffrée (qui figure sur la partition...)3, les instruments étant indiqués au long des portées. Les Passions baroques en ont assuré l’édition modernisée avec ses parties orchestrales intermédiaires. Muriel Batbie-Castell, soprano et professeur d’occitan, a entraîné les chanteurs au respect de la langue.
Les attentes du public, qu’on a pu ressentir à l’entrée pavoisée du théâtre Olympe de Gouges, n’ont pas été déçues, c’était bien une soirée de grand jour et une première tout de même bien rodée. L’œuvre est parsemée de beaux airs, ce que les auditeurs de 1754 avaient déjà souligné, on y fait des parallèles entre l’amour et la nature : « Nos arbres y sont toujours verds et nos amans toujours fidelles », entre la paix de la nature et la guerre, dans des pitreries irrévérencieuses pour les armées du roi, « Pif paf pif paf pif paf on se chamail », « On entend rounfla lou canou, poun ! poun ! poun ! ». On prend un grand plaisir à ces situations simplistes aux grosses ficelles, comme des contraintes extrêmes, improbables, sauvées par un très haut niveau artistique, ou défiant l’artiste.
Hélène Le Corre, François-Nicolas Geslot, Élodie Fonnard, Fabien Hyon. Photographie © Christophe Sevin.
Les trois personnages sont parfaits dans leurs rôles : en amoureux déprimé chronique geignard, François-Nicolas Geslot attire par son métier une grande partie de l’attention et se pose comme un solide appui, incisive et sûre d’elle-même Élodie Fonnard est bien ce mur d’indifférence aimable qui se brise à la toute fin par la magie enfantine du théâtre, la verdeur et puissante émission de Fabien Hyon vont bien au matamore, capitaine qu’il est même sous l’uniforme usurpé. Tous trois ne cachent pas leur plaisir, voire leur amusement, comme le public s’esclaffant à plusieurs reprises.
Le choeur de chambre Les Éléments (Joël Suhubiette) est fidèle à sa renommée, tout comme Les Passions, sous la direction attentive et sans esbroufe de Jean-Marc Andrieu, qui dirige l’ensemble depuis 36 ans.
De petites frustrations tout de même pour avoir été privé des entrées des bergers et bergères, du peuple, des nobles, des pâtres, des chasseurs, et pour n’avoir pas vu danser les loures, gigues, menuets, tambourins.
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Le livret est inspiré d’une fable de Jean de la Fontaine, ou l’indifférente Alcimadure est présentée comme une meurtrière après la mort par amour déçu de Daphnis. Sans remords, elle invite ses amies à venir danser autour de la statue d’Aphrodite, dieu de l’amour, qui lui tombe dessus et la tue. Arrivée dans l’au-delà, elle veut rejoindre Daphnis, mais elle l’indiffère à son tour. On peut penser que Mondonville a joué avec son public, connaissant cette fable, il a même repris une partie du texte, quand Daphnis lègue tous ses biens à Alcimadure. On peut aussi avoir une idée de la manière dont on considérait le femme qui devait céder à l’homme. Dans l’opéra de Mondonville, c’est plutôt une affaire de harcèlement.
Jean-Marc Warszawski
6 octobre 2022
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Jeudi 6 Octobre, 2022 20:58