Paris, Invalides, Salle Turenne, 7 mars 2022 — Frédéric Norac
Photographie © musicologie.org.
On peut difficilement imaginer lieu plus adapté à ce programme que la Salle Turenne, ancien réfectoire des Invalides dont les fresques rappellent les campagnes de Louis xiv, pour évoquer à travers l’histoire de la Guerre de Hollande, deux des grandes figures militaires de son règne, D’Artagnan (tué au siège de Maastricht en 1673) et Turenne (à celui de Sissheim en 1675). Les textes choisis par Olivier Baumont et dits avec sobriété, mais non sans finesse par Marcel Bozonnet, viennent des grands mémorialistes du temps, Saint-Simon, bien sûr, mais aussi la Galerie de l’ancienne cour et Louis XIV lui-même dans ses Réflexions sur le métier de Roi (enfin le scribe accroupi auquel il a prêté sa voix) et de quelques historiographes postérieurs, Samaran et Courliz de Sandraz, pour ce qui concerne le fameux mousquetaire, et Étienne Roy pour Turenne.
À travers ces évocations de batailles et de guerres de conquête, malgré plus de trois siècles de distance, on ne peut qu’entendre résonner une actualité hélas trop présente, surtout quand le souverain dont on sait à quel point il ruina le pays à vouloir l’étendre s’auto-justifie en parlant de sa gloire et du bien-être de son peuple.
Les pièces musicales ne sont pas toutes exactement contemporaines et n’ont rien de très militaire, sans doute à cause de l’instrumentation (deux violons, basse de viole et clavecin). Pas même cette Marche du régiment du Roy de Lully qui a plutôt un rythme de danse (passepied ?) ou ces Caractères de la guerre, sonate à deux dessus de Dandrieu, plutôt joyeuse. Y brillent singulièrement les violons de Tami Troman et Pierre-Henri Nimylowycz dans leur dialogue enjoué. On regrette de ne pas entendre davantage le clavecin subtil au timbre argentin d’Olivier Baumont qui ne s’est concédé qu’une seule pièce soliste, une très belle Pavana Lachrimae de Sweelinck. La basse de viole de Louise Pierrard vient donner un écho au deuil de la mort de Dartagnan dans Les Pleurs du célèbre Sainte-Colombe. Une Marche des mousquetaires de Corrette, une Batalla de Bruna et une Sonate en trio de Schmelzer complètent un programme musical un peu court. Le concert s’achève sur une entraînante Chaconne extraite des Pièces en trio de Marin Marais. Comme disait le pauvre Apollinaire1 du fond de sa tranchée : « Ah Dieu ! Que la guerre est jolie, avec ses chants, ses longs loisirs » mais il ajoutait ailleurs « Si tu voyais ce pays, ces trous à hommes, partout, partout. On en a la nausée, les boyaux, les trous d’obus, les débris de projectiles et les cimetières ». Mais la musique, c’est bien connu, adoucit les mœurs.
1. Aristocrate russe d’origine polonaise engagé dans les troupes françaises et mort en 1918 des suites d’une blessure et de la grippe espagnole.
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