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Théâtre des Champs Elysées, 13 novembre 2021 —— Frédéric Norac.

Un Onéguine plus franco-que-russe au Théâtre des Champs-Élysées

Eugène Onéguine, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Il s’en est fallu de peu pour que cet Eugène Onéguine ne soit entièrement « francophone ». En effet mis à part la Tatiana de Gelena Gaskarova remplaçant Vannina Santoni initialement annoncée, l’Olga au mezzo somptueux d’Alisa Kolosova et Yuri Kissin dans le double rôle du Capitaine et de Zaretski, le plateau de cette production ne réunit pratiquement que des chanteurs français. Peut-être ceci explique-t-il cette impression d’incomplétude que donne souvent le chant auquel manquent ces harmoniques, cette saveur si particulière qui caractérise la langue russe, la plus riche en phonèmes des langues européennes, et qui devrait donner sa tonalité spécifique à l’opéra de Tchaïkovsky.

La plupart d’entre eux ont vraisemblablement appris leur rôle de façon purement phonétique et cela aussi se sent plus ou moins selon les individus. De ce point de vue, Jean-François Borras en Lenski est celui qui s’en tire le mieux, sans doute parce que son beau ténor lyrique, au phrasé nuancé et à l’aigu facile peut donner le change, grâce à sa couleur foncièrement italienne. Dans le rôle-titre, Jean-Sébastien Bou n’est pas le plus imposant des barytons, mais il s’investit pleinement pour caractériser son personnage de dandy blasé. Avec un bel engagement scénique, il parait très convaincant dans les scènes finales où il apparait « délabré », au milieu d’un univers où tout parle de dépravation, une salle de jeux initiale se transforme en maison de passe échangiste avant que la réception mondaine où apparait Tatiana en Princesse Grémine ne vienne l’investir. De la Tatiana de Gelena Gaskarova, on retiendra une belle scène de la lettre où se déploie sans réserve son soprano lyrique, mais un caractère totalement dépassionné dans la scène finale où elle peine à incarner cette femme mûrie et sur la brèche, torturée par son ancien amour. Du côté des petits rôles, Delphine Haidan bien qu’encore un peu jeune pour incarner les nourrices, se révèle parfaite en Filippievna ; Mireille Delusnch manque un peu de projection pour Mme Larina et Marcel Beekmans surcharge son personnage de petit maître français ridicule qu’il chante avec un accent flamand peu idiomatique. Jean Teitgen se distingue particulièrement dans l’unique scène du Prince Grémine auquel il offre sa stature de basse chantante sans vieillir trop le personnage.

Eugène Onéguine, Théâtre des Champs-Élysées. Photographie © Vincent Pontet.

Avec une distribution d’excellent niveau, des chœurs remarquablement préparés et un Orchestre national de France en très bonne forme, l’ensemble peine pourtant à prendre corps.

La direction certes précise et parfaitement en place de Karina Callenakis y est pour beaucoup qui n’allume le feu de la passion qu’à de bien rares moments et pèse lourdement sur les passages lyriques ou sur la polonaise finale qu’on imagine impossible à danser sur ce rythme sans la moindre fougue.

La vision de Stephane Braunschweig, à part le début du 3e acte et le prologue, se révèle assez classique et joue d’une scénographie dépouillée qui frise le minimalisme, n’était une énorme boite, bien encombrante, qui s’élève plusieurs fois des dessous pour nous présenter la chambre d’enfant où l’héroïne se tourmente avant de se déclarer, le divan où les deux sœurs attendent l’issue du duel au deuxième acte, ce qui oblige Lensky à chanter son sublime air d’adieu perché dessus, et celui où Tatiana lit la lettre d’Onéguine au dernier acte. Pour le reste, il enferme ses personnages dans une boite de lambris gris, les encercle de chaises blanches puis rouges et les fait passer, sans que l’on sache trop pourquoi, d’un XIXe siècle provincial à un XXe siècle urbain et chic au dernier acte. En ouverture, sur le plateau nu, des techniciens de surface viennent ramasser et mettre dans des sacs-poubelle des livres abandonnés. Sans doute s’agit-il de toute cette littérature romantique que Tatiana a ingurgitée, à laquelle fait souvent allusion le livret, et qui est indirectement la cause de ce drame terrible, lui-même tiré d’un roman qui est un des sommets de la littérature russe et même universelle.

Prochaines représentations les 15, 17 et 19 novembre à 19 h 30.

Spectacle coproduit par l’Opéra national de Bordeaux.

Frédéric Norac
13 novembre 2021


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Dimanche 14 Novembre, 2021 23:42