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Opéra-Comique, 27 septembre 2021 —— Frédéric Norac.

Un Fidelio (presque) sans âme

Fidelio Photographie © S. Brion.

Vouloir moderniser Fidelio en le transposant dans un contexte contemporain n’a rien d’illégitime ni de bien original. C’est le chemin qu’empruntent la plupart des mises en scène depuis les années cinquante. Le sujet avec ses résonances politiques s’y prête. Mais si l’on peut y voir une dénonciation de l’arbitraire et une ode à la liberté, l’opéra de Beethoven est aussi et surtout une histoire humaine, l’exaltation du courage féminin et de l’amour conjugal et une sorte de relecture inversée du mythe d’Orphée.

Le problème avec la nouvelle production de l’Opéra-Comique est qu’elle se cantonne dans un réalisme de surface qui, au final, prive l’œuvre de toute forme d’élévation et de dimension spirituelle. N’est pas Peter Sellars qui veut et les images que nous propose Cyril Testé ont traîné partout depuis les années 90 : prison ultramoderne et ses matons brutaux qui terrorisent des détenus proprets et amorphes, table d’exécution par injection qui remplace le souterrain où croupit Florestan, complique une action dix fois plus simple et efficace dans le livret original et oblige, en outre, à trafiquer les dialogues et les surtitres ainsi que le mélodrame qui précède pour les faire coller à la mise en scène. Ajoutons-y tout un folklore pseudo-moderne de vidéos inutiles ou redondantes qui, dès l’ouverture, nous assènent une violence factice et mélodramatique — le passage à tabac de Florestan et le sacrifice des cheveux de Léonore —, parasitant jusqu’à l’insupportable le discours idéal et exalté de l’orchestre, un plateau agité et qui gâte toute concentration sur l’essentiel qui n’est pas seulement dans ce que l’on montre, mais parfois plus dans ce que l’on suggère et d’abord dans la musique.

Une transposition ne fait pas une mise en scène et il faudrait respecter la progression interne, de l’anodin au tragique, et savoir doser ses effets, pour lui donner une véritable efficacité. Le meilleur exemple en est l’apparition des prisonniers au final du premier acte qui perd toute sa force puisqu’on les a déjà vu se faire fouiller (mollement) en arrière-plan des premières scènes et que leur hymne à la lumière n’est secondé par aucun changement d’éclairage sur le plateau. Quant à l’entrée (fantasmée ?) des enfants qui viennent jouer parmi eux, elle ne parvient pas à faire oublier la platitude scénique et constitue un des multiples contresens de cette mise en scène superficielle.

Photographie © S. Brion.

À partir de la scène entre Rocco et Pizarro, les choses s’améliorent un peu, mais on n’évite pas pour autant les détails ridicules et pseudo-réalistes tel Pizarro offrant à boire à Rocco et s’enivrant lui-même au Champagne, sans doute pour calmer son angoisse. Il faut attendre la grande scène de Florestan pour que soudain un peu d’émotion se fasse jour. On la doit bien sûr à l’incarnation de Michael Spyres, idéalement expressif, qui, avec sa belle voix large de ténor lyrique et des demies teintes de belcantiste accompli, arrive à transcender la caricature. Il n’en va pas de même hélas ! de la Léonore de Siobhan Stagg. Malade, la soprano en est réduite à mimer son rôle, devant les gros plans de son visage, renforçant encore le sentiment d’artificialité du traitement scénique. Confinée dans la fosse, Jacquelyn Wagner qui la double, malgré une voix magnifique, ne parvient pas vraiment à donner toute la vie souhaitable au personnage. Le reste de la distribution compose un ensemble de personnages crédibles et fait preuve d’excellentes qualités vocales. De la suave Marcelline de Mari Eriksmoen à la basse généreuse du Rocco d’Albert Dohmen, en passant par le Pizarro d’une belle noirceur de Gabor Bretz, et le Jaquino de Linard Vrielink, chacun ici mériterait un cadre plus flatteur et plus valorisant. Une mention spéciale à Christian Immler, très crédible dans son personnage de ministre dont il restitue avec beaucoup de talent la mauvaise foi et l’évidente duplicité, dans sa brève scène du dénouement, à porter au crédit du metteur en scène.

Si le chœur ne mérite que des éloges, il paraît toutefois un peu trop réduit du côté masculin dans la fameuse scène des prisonniers. Dans la fosse, l’orchestre Pygmalion, n’étaient les toujours problématiques cors naturels aux attaques approximatives, rend pleinement justice à la partition de Beethoven dans une vision plus classique que romantique, mais la direction de Raphaël Pichon paraît un peu erratique dans les deux grands finale, surtout dans celui du deuxième acte dont elle ne parvient guère à faire sentir la montée en puissance. Au final certes on a entendu et vu Fidelio, mais il lui manquait ce supplément d’âme qui fait les très grandes représentations.

Dernières représentations les 1er et 3 octobre

Diffusion en direct sur Arte Concert le 1er octobre à 20 h.

Spectacle co-produit par l’Opéra de Nice-Côte d’Azur et l’Opéra de Dijon.

plume 7 Frédéric Norac
27 septembre 2021


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Vendredi 1 Octobre, 2021 13:36