Paris, Salle Gaveau, 20 mai 2021 —— Frédéric Norac.
Les accents et Bruno de Sà. Photographie © Pablo Ruiz.
Bruno de Sà appartient à une typologie vocale rare, celle des sopranistes. Entendez une voix d’homme dont l’extension dans l’aigu est équivalente à celle d’un soprano féminin mais dont l’émission sans vibrato, rappelle celle des voix d’enfants, avec la puissance d’un adulte et dont le médium peut s’avérer assez large pour incarner les héros « virils ». Avec un tel instrument, il peut prétendre à restituer l’envoûtement et la fascination qu’ont exercé les castrats de théâtre, du XVIIe siècle aux premières décennies du XIXe.
Dans ce programme, dédié la Rome du début du XVIIIe, il nous révèle la profusion des œuvres dramatico-religieuses, oratorios ou opéras sacrés qui, dans la cité papale, remplacèrent l’opéra profane. Si sa virtuosité dans les vocalises rapides est absolument époustouflante, même si le bas médium de la voix peu développé l’oblige à compenser par l’effort, c’est plutôt dans les longues phrases cantabile, les ariosos délicatement ornés comme ce « Miro che il fiumicello » de la Santa Francesca Romana de Caldara où il dialogue avec le hautbois de Guillaume Cuiller, qu’il captive son auditoire, avec une longueur de souffle inépuisable, une ligne de chant déliée, une messa di voce sans faiblesse, des suraigus diaphanes et une couleur « céleste » tout à fait fascinantes.
Dans ce riche programme où s’enchainent les raretés, il nous entraîne dans les palais princiers de la Rome baroque avec un Gloria de la période romaine de Haendel dont les six mouvements lui permettent de faire valoir une grande variété d’affetti, deux airs d’Alessandro Scarlatti, un « Cantantibus organis » avec lequel il dégourdit sa voix en début de concert puis la prière « Sommo Dio » extrait de La Santissima Annunziata où il fait valoir toute l’ampleur de sa voix. Suivent trois airs de Caldara, « Come foco alla sua sfera » du Matririo di Santa Caterina et « Numi offesi di furor » de La Castità al cimento, deux airs de colère occasions de pyrotechnies vocales, encadrant le très bel air déjà cité. Une scène très dramatique du Martirio di Sant'Eustachio du peu connu Flavio Carlo Lanciani (1661-1706) achève le concert, auquel ne manque pas un bis bien sûr.
Il est accompagné à la perfection par l’ensemble les Accents dirigé du premier violon par Thibault Noally. Le petit effectif — deux violons, alto, violoncelle, contrebasse, clavecin et orgue, théorbe — auquel s’ajoute ponctuellement le hautbois — offre au chanteur quelques moments de respiration, et en contrepoint du programme vocal , trois pièces d’Alessandro Scarlatti — une sinfonia (extraite de l’oratorio La Vergine addolorata), un quatuor en ré mineur, et une sonate en fa mineur — qui prouvent, si besoin était, que la musique instrumentale de ce grand compositeur n’avait rien à envier à sa musique vocale.
Les Montpelliérains pourront l’entendre le 25 mai à l’Opéra-Comédie dans le rôle d’Abel du Caino ovvero il primo omicidio de Scarlatti sous la direction de Philippe Jaroussky avec son Ensemble Artaxerxes.
Frédéric Norac
22 mai 2021
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Samedi 22 Mai, 2021 1:44