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Opéra national du Rhin, 20 avril (streaming) —— Frédéric Norac.

Mort à Venise : l’opéra testamentaire de Britten

Opéra du Rhin, Mort à Venise. Copie d'écran.

La Venise de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, en charge de la nouvelle production de l’opéra de Britten à l’Opéra du Rhin, est un univers mental fantasmé, réduit à quelques signes — les marinières et quelques accessoires, une pataugeoire, une vue de la Salute du Canaletto, des vidéos censées évoquer les déambulations des personnages le long des canaux, filmées d’évidence le long de ceux de la « Petite France » à Strasbourg. La chambre du héros au Grand Hôtel des Bains évoque plutôt une sorte de clinique, un établissement où l’écrivain en crise, au bout de sa propre inspiration et au bord du suicide, est venu se faire soigner et se rêve dans une Venise imaginaire qui appartient à son passé.

La mise en scène raconte une double histoire, celle de la fascination d’Aschenbach pour le bel adolescent Tadzio qui, de symbole de la beauté devient l’objet de son désir et d’un amour aussi infâme que passionné qui va le conduire à la mort, mais aussi par une sorte de projection sur l’enfant devenu son double, celle de son propre cheminement jusqu’à la découverte de son homosexualité, rejoignant ainsi l’histoire du compositeur lui-même, identifié au héros dans cet opéra testamentaire.

Opéra du Rhin, Mort à Venise. Copie d'écran.

Il en résulte un climat étrange et morbide, à mi-chemin entre rêve et réalité qu’accentue un décor abstrait fait de cellules multiples et toujours en mouvement où les personnages sont des apparitions, le petit peuple vénitien et les clients et les employés de l’hôtel, tout comme les dieux, car là où le livret ne prévoit que de faire entendre leurs voix, les metteurs en scène les rendent visibles, Apollon en statue grecque dorée et Dionysos semblant sortir d’un tableau « indécent » d’Alfred Courmes.

Le résultat se révèle captivant par la richesse des lectures superposées, le climat quelque peu surréel, et échappe à l’anecdote pour nous emmener avec le héros dans les hauteurs métaphysiques des interrogations de l’artiste.

Surtout, la mise en scène parvient à rendre concrète et poignante l’histoire de cette déchéance et sa dimension mystique. En Aschenbach, sorte de baba cool attardé à demi-fou, Toby Spence est tout simplement époustouflant, avec une richesse de registres vocaux et théâtraux inépuisable. Ses monologues qui rythment sa descente dans les tréfonds de son âme réussissent à échapper à toute aridité. On admire aussi le baryton de Scott Hendricks fascinant dans ses huit métamorphoses incarnant cet esprit tentateur qui conduit Aschenbach à sa perte, du Vieux voyageur à Dyonisos. Le petit et le grand chœur (invisible) ainsi que les comédiens figurants, tous impeccables, sont soutenus par l’orchestre symphonique de Mulhouse qui, sous la direction raffinée de Jacques Lacombe, donne de la musique de Britten, singulièrement des magnifiques interludes, une lecture impeccable avec des sonorités fascinantes et des cuivres parfaits de justesse.

Opéra du Rhin, Mort à Venise. Copie d'écran.

Cette œuvre où Britten — à trois ans de sa propre mort — se confronte à ses propres angoisses d’homme et d’artiste, n’est pas la plus facile d’accès. Son langage est comme la quintessence de celui du compositeur avec une économie de moyen qui avoisine l’austérité, mais cette intelligente mise en scène réussit à la rendre évidente sans jamais en éventer le mystère ni en dénaturer les interrogations, plus fidèle à l’esprit du roman de Thomas Mann que ne l’est le film de Visconti, contemporain de la composition de l’opéra, et dont on dit que Britten ne voulut pas le voir, de peur d’en subir l’influence esthétique.

Spectacle à revoir pendant un mois en streaming sur l’ONR chez vous

 

Frédéric Norac
20 avril 2021


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