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Live-streaming, Medici-TV, 19 janvier 2021 —— Frédéric Norac.

Les joyeux moutons de Titon : Titon et l'Aurore de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville à l'Opéra-Comique

Emmanuelle de Negri (Palès). Photographie © Stefan Brion.

Pastorale héroïque en trois actes et un prologue, Titon et l'Aurore est un exemple parfait de l'opéra-ballet triomphant. Créé en 1753 en pleine Querelle des Bouffons, il devait toutefois connaître un succès sans partage, qu'il faut à n'en pas douter attribuer à la splendide musique de Mondonville. Le livret, inspiré d'un épisode mythologique fameux, met en scène les amours contrariées du berger Titon, un mortel, avec la déesse Aurore. Jalousés par Palès, divinité tutélaire des troupeaux, amoureuse de Titon, et par Éole, dieu des Vents, épris de la belle Aurore, ils seront finalement réunis, mais, tandis que dans le mythe originel,  Titon est condamné à une vieillesse éternelle, il est dans cette version optimiste sauvé par le dieu des Amours qui en plus de l'immortalité lui conférera à jamais la jeunesse.

Aux commandes de cette nouvelle production, Basil Twist qui en assure tous les aspects, des costumes à la mise en scène, a choisi un registre parodique faussement naïf, qui convoque marionnettes manipulées à vue et pantins à fil dans une vision farfelue dont l'esthétique tient autant de la bande dessinée que du music-hall. Avec un minimum de moyens, le metteur en scène obtient un résultat visuel époustouflant, suppléant largement à l'absence de tout ballet, n'était une ronde  et quelques mouvements de danse assurés par le chœur et les protagonistes eux-mêmes, grâce une intelligente utilisation de la pantomime.  La grande fête pastorale et ses moutons dansants où les bergers célèbrent les amours des deux héros est absolument irrésistible de fantaisie. De ses personnages, il fait autant de figures emblématiques de l'opéra, Titon en berger tout droit sorti d'une gravure d'époque, l'Amour en Chevalier à la Rose, Aurore en robe d'or, quelque part entre Reine de la Nuit et meneuse de revues. La Palies cornue, mi-Fricka mi-Héra, accompagnée de ses deux béliers flottant sur une robe de nuages, et l'Éole chenu suivi  de sa grande voilure mouvante sont de petits chefs-d'œuvre d'invention.  La grande scène de fureur du dieu des Vents où le rideau vient encore enrichir la sensation du souffle déchaîné en  un moment de pure jubilation, et celle du vieillissement de Titon au dernier acte sont tout à la fois comique et délicatement tendre.

Gwendoline Blondeel (L’Aurore), Marc Mauillon (Éole). Photographie © Stefan Brion.

Visuellement le spectacle est si réussi qu'y disparait ce qui dans une approche plus classique nous paraîtrait sûrement très convenu et qu'il en ferait presque oublier la qualité exceptionnelle de la musique. William Christie s'y montre un chef nerveux, impulsant une incroyable puissance dynamique à son orchestre dans les passages orchestraux qui devraient porter les ballets et qui deviennent ici de purs divertissements symphoniques. Sa direction raffinée soutient une distribution de tout premier plan où Reinhoud Van Mechelen (Titon), éblouissant dans son grand hymne final héroïque à l'Amour, se révèle comme le plus vaillant des hautes-contre actuelles. Lui répond la brillante Aurore, de Gwendoline Blondeel d'une parfaite distinction. On ne sait qui préférer des deux méchants de l'affaire, la Paliés colérique d'Emmanuelle de Negri ou le furieux Éole de Marc Mauillon, tous deux singulièrement expressifs et, pour le second, d'une virtuosité à toute épreuve dans son grand air de la tempête de l'acte II. Délicieusement malicieux, l'Amour de Julie Roset aux allures de Chevalier à la Rose dans son habit d'argent. Voix de velours et articulation française impeccable chez le Prométhée de Renato Dolcini qui n'apparait qu'au prologue. Excellents comme toujours les chœurs des Arts florissants dont la mise en scène met largement à contribution les talents théâtraux et chorégraphiques.

Si l'œuvre, enregistrée par Marc Minkowski en 1991, n'était pas absolument inconnue, cette première scénique en 250 ans en révèle tout le potentiel  grâce au talent d'un metteur en scène dont ce sont quasiment les débuts en France et qui nous en offre, sans façon, deux heures d'un bien joli divertissement en ces temps si moroses.

Emmanuelle de Negri (Palès), Marc Mauillon (Éole). Photographie © Stefan Brion.

 

Spectacle visible en replay sur Medici TV pendant 3 mois

Diffusion prévue sur Mezzo à une date encore non fixée.

Frédéric Norac
20 janvier 2021
© musicologie.org


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