musicologie

20 janvier 2021 —— Michaël Sebaoun.

Les chemins de musique de Jean-Philippe Collard

Jean-Philippe Collard, Chemins de musique. Alma éditeur, Paris 2020 [121 pages, ISBN 978-2362794728, 20 €].

Les Chemins de musique, du pianiste français Jean-Philippe Collard (né en 1948), s’ouvrent sur la peinture d’une pièce de travail à la lumière tamisée, telle une scène de genre de l’Âge d’Or hollandais.

Décor idoine, pour le fauréen justement célébré qu’est Jean-Philippe Collard. Osons pourtant, dès l’abord, un chemin de traverse. Rachmaninov ! L’antonyme de Fauré, dit un jour Horowitz au pianiste français.

Rachmaninov, car Collard s’y montre à son meilleur, alors que ce n’est peut-être pas le compositeur auquel on l’associe spontanément.

« Faut-il des doigts d’acier pour jouer Rachmaninov (…) ou plus que cela » ? demande Olivier Bellamy au pianiste français dans Passion Classique (2016).

« Les doigts d’acier, ce n’est pas tout à fait ma paroisse (…) », répond Collard. Et en effet, dans ce répertoire, le pianiste, fidèle à lui-même, semble pétrir le son, le clavier, certes avec vigueur. Suggérons l’écoute des quatre concertos pour piano, avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse dirigé par Michel Plasson (EMI). Et plus encore, peut-être, le visionnage d’un magnifique concert du concerto no 2 (remarquablement filmé au Château de Vincennes en 1995), disponible sur YouTube, avec l’Orchestre Symphonique Français dirigé par Laurent Petitgirard.

Mais revenons sur le chemin des souvenirs du pianiste français. Il nait, cadet d’une famille de cinq enfants, à Mareuil-sur-Aÿ, un petit village au cœur de la Champagne. Sa mère (qui veillera, non sans rigueur, à la pratique quotidienne des gammes du jeune pianiste) joue l’Arabesque de Schumann, son père tient l’orgue du village. Le dimanche, on célèbre, en trios ou en quatuors, la musique de chambre. Plus tard, l’adolescent chantera Bach, Poulenc, Duruflé, dans le chœur amateur que dirige son père.

Peu enclin à passer des concours, le jeune pianiste se classe néanmoins deuxième à un concours pour les pianistes de moins de douze ans, cinquième au concours Marguerite-Long-Jacques Thibaud (derrière un « quatuor » russe), et remporte le concours Cziffra. Auparavant, il obtient son premier prix de piano au Conservatoire de Paris, entre Aline Van Barentzen, à la pédagogie étroite, et Marcelle Brousse, son assistante, qui lui parle enfin de « sensations ». Il suit aussi les cours privés de Pierre Sancan, attentif aux premiers échos venus de l’URSS, et favorable à « l’apport du buste, des épaules et des avant-bras dans la construction sonore ». Mais le Maître sait aussi transmettre le secret des brumes de Debussy ou du cristal de Ravel…

Cette tradition française, Jean-Philippe Collard observe d’ailleurs qu’elle nous échappe. Les programmes la délaissent, son enseignement se raréfie, tandis que les concours misent sur le spectaculaire. Ne pas laisser s’éteindre « ce subtil mélange de raffinement et de distinction ».   D’où l’idée de Jean-Philippe Collard, entouré de grands pianistes français, de la faire revivre par un enseignement approprié, au sein de l’École Normale de musique de Paris, sous forme de sessions annuelles.

La musique est partage, pour Jean-Philippe Collard. Musique de chambre, avec Frédéric Lodéon et Augustin Dumay, direction artistique des Flâneries musicales de Reims, passages au Grand Échiquier de Jacques Chancel, ou tournées ambulantes, loin des villes : l’artiste descend de son piédestal et diffuse le plaisir de la musique. Un plaisir conquis par l’artiste, car Jean-Philippe Collard croit autant aux vertus de l’amour de la musique qu’à celles du travail et de la vigilance quant au respect de la pureté du texte, loin de toute tentation d’affectation.

Le pianiste égrène encore sur son chemin, dans sa prose lamartinienne, quelques expériences. Avoir donné la sonate de Liszt chaque soir lors de vingt-et-un récitals consécutifs, salle Colonne, pour un voyage constamment renouvelé. Avoir senti la résistance des élus, lorsque les projets d’artistes s’élaborent « hors sérail ». Puis il y a, savoureusement racontée, la complicité avec Vladimir Horowitz, le pianiste à la phénoménale indépendance des doigts. La relation avec les chefs d’orchestre, bénéfique si elle est « sécurisée par la confiance, par l’admiration aussi… par le respect en tout cas ». Les enregistrements pour le label Dolce Volta.

« Je veux que le piano soit lisse, que les notes s’enchaînent, qu’elles soient amies (…) » déclarait encore Jean-Philippe Collard dans l’émission radiophonique citée plus haut. Son livre est à l’image de son style d’interprète. Une belle raison de s’en délecter.

 

  Michaël Sebaoun
20 janvier 2021


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Mercredi 20 Janvier, 2021 1:20