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17 mars 2021 —— Frédéric Norac.

Les brillants débuts de Philippe Jaroussky

Benedetto Ferrari, Musiche varie, Philippe Jaroussky, ensemble Artaserse. Lamusica 2021, LMU 26.

En 2002, la renommée de Philippe Jaroussky en était encore à son aurore, mais le jeune contre-ténor de 24 ans se risquait déjà dans des répertoires rares et à découvrir, telles ces Musiche varie de Benedetto Ferrari, compositeur, poète et théorbiste de génie dont les trois livres d'arie publiés à Venise en 1633, 1637 et 1641 offrent un parcours dans l'évolution de la monodie baroque, du style récitatif et de ses longs lamenti, illustré ici par « Chi non sà come amor » ou par la cantate spirituelle « Queste pungente spine », à la canzonetta strophique ou à des pièces au style mixte.

C'est du reste tout ce qu'il reste d'un compositeur dont la prolifique production ne comptait pas moins d'une dizaine d'opéras, qui sans doute participa à l'Incoronazione di Poppea et pourrait être l'auteur du célèbre duo « Pur ti miro » sur lequel l'opéra s'achève. À l'écoute de ce disque on ne manquera pas de regretter la perte du reste de son œuvre tant ces arie dont pour la majorité il est également l'auteur des textes, recèlent de surprises, de variété et se révèlent d'une richesse expressive de tous les instants, inventives, à mille lieues de tous les stéréotypes que l'on pourrait associer au premier baroque, explorant dans un langage original toutes les possibilités du recitar cantando avec des ruptures, des effets de modulation harmonique  auxquelles Philippe Jaroussky donne leur pleine portée. Le timbre pénétrant du chanteur, son articulation parfaite, son sens du clair-obscur, sa façon de passer d'un aigu céleste à un médium et un grave naturels d'une grande douceur, une ornementation parfaitement maîtrisée, tout cela donne vie à ces arie et les rend étonnamment parlantes, au-delà même de la compréhension du texte. L'accompagnement de l'ensemble Artaserse qui réunit viole de gambe, théorbe, harpe, clavecin et orgue, est à la hauteur de l'enjeu, d'une grande inventivité, riche de colorations qui enveloppent  le chant dans un écrin mouvant de mille nuances.

À dix-huit ans de sa première publication (sous le label Ambroisie), cet enregistrement reste une référence absolue et un modèle d'interprétation. Il fait honneur au chanteur débutant devenu — et l'on comprend pourquoi à l'écoute de ce CD — le modèle de toute une génération. Il mérite à coup sûr de figurer dans la discothèque de base de tout amateur de musique baroque et même simplement de musique vocale.

Frédéric Norac
17 mars 2021


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