musicologie

14 mai 2021 —— Jean-Marc Warszawski.

Le palais des dégustateurs : un label discographique qui ne manque pas de goulot

Dominique Merlet, Beethoven, Sonates pour piano opus 27 no 1 et no 2 « Clair de Lune », Sonate pour piano opus 31, no 2 «Tempête ». La palais des dégustateurs 2021 (2016) (PDD 013)

Éric Rouyer est un mélomane négociant en vins, ce qui est compatible, c’est d’ailleurs compatible avec tous les métiers. Vin et musique (et érotisme) sont depuis le début des temps bibliques associés au vice et la dépravation. Sinon le vin de messe. Même dans les années 1970, le mouvement rock, porteur d’une vague émancipatrice, a été rabaissé à la drogue (et excès d’alcool) et à l’horreur du sexe. On peut même penser que la fermeture des salles de concert et des restaurants, mesures sociales irraisonnées censées stopper une épidémie virale, est dictée par cette idéologie diabolisant le plaisir et la convivialité.

Mais avec l’abbaye de Thélème de Rabelais, le point de vue s’infléchit, car les gens libres, bien nés, bien instruits, conversant en compagnie honnête, ont par nature un instinct et un aiguillon, qui toujours les pousse à accomplir des faits vertueux et les éloigne du vice, aiguillon qu’ils nommaient honneur. Ainsi le vice des uns (le peuple) est transformé en art et grand art pour les autres (les aristocrates).

Bonne table, bonne musique, bons vins en bonne compagnie est un solide cliché du bien vivre français, parfois avec un bon cigare cubain dans le cadre. Le fait de rapprocher vin, musique et raffinement de gens supposés de qualité (pas du peuple), n’est donc pas en soi très original. Il y a des livres sur le sujet, des festivals, du Chablisien au Médoc, réunissent vignerons, vignobles, caves et musique, avec des considérations différentes quant au rapport entre vin et musique. Le plus souvent comme deux agréments aux plaisirs d’une soirée qui n’ont en commun, hors des spécifications techniques, aucun vocabulaire descriptif propre, ce qui force à chercher dans les analogies symboliques, comme le fait Friedrisch Nietzsche dans son aphorisme 154 sur la musique :

Quand on en a longtemps été privé, la musique passe ensuite trop vite dans le sang, comme un gros vin du Sud, et laisse l’âme engourdie comme par un narcotique, somnolente, toute à l’envie de dormir.

Éric Rouyer semble viser au contraire la fusion par une certaine synesthésie de la perfection et du bon goût. Il met son idée à l’épreuve en organisant des concerts dans des caves à grands crus ou des lieux étonnants, en faisant appel à des artistes de grande renommée, mais peu promus par les médias populaires. Un club d’initiés entre bons vins et bonnes musiques, dont les concerts gastronomiques ne sont pas à la portée de toutes les bourses.

Sont au rendez-vous beaucoup de pianistes tels Jean-Claude Vanden Heynden, Robert Levin, Anne Le Bozec, Dominique Merlet, Jacques Rouvier, Boris Berman, le violoniste Gérard Poulet, le violoncelliste Alain Meunier ou d’une génération plus jeune, le out aussi peaufiné musicalement quatuor Béla. On est entre grands maîtres de chais et de musique.

Le palais des dégustateurs, associé à une quinzaine de domaines viticoles, est aussi devenu un label discographique qui a produit entre 2013 et 2020 une bonne vingtaine d’albums dont certains ont été primés.

Éric Rouyer semble particulièrement attaché à la diffusion de l’art pianistique de Dominique Merlet, notamment dans l’enregistrement des sonates nos 13, 14, « Clair de Lune », 17, « La tempête », dans une interprétation à forte personnalité, et Robert Levin dans l’intégrale des trios de Franz Schubert, en compagnie de Noah Bendix-Balgley (violon) et Peter Wiley (violoncelle). Robert Levin qui prépare pour ce même label un tour en Bach, avec les variations « Goldberg », le concerto « italien » et l’ouverture à la française.

Ludwig van Beethoven, Sonate opus 31, no 2, « Tempête », 3e mouvement, allegretto (plage 10).


Le palais des dégustateurs

 Jean-Marc Warszawski
14 mai 2021


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bouquetin

Vendredi 14 Mai, 2021 15:31