21 janvier 2021 —— Frédéric Norac.

Le merveilleux bouquet de Melody Louledjan

Melody louledjan (soprano), Antoine Palloc (piano), Fleurs : Wiéner, Les Chantefleurs, Milhaud, Catalogue de fleurs, Satie, Les fleurs, Honegger, Nature morte, L. Boulanger, Deux ancolies, R. de Buweuil, L'âme des roses. Aparté 2020 (AP 230).

Enregistré par Little Tribeca à l’Institut Rosey (Rolle, Suisse) du 19 au 22 mars 2019.

C'est un véritable printemps qui jaillit de ce disque au programme aussi original que réjouissant, et il est plein de parfums et d'images légères. Sur le thème des fleurs en musique, Melody Louledjan et Antoine Palloc ont réuni par moins 61 mélodies françaises du vingtième siècle, des années 1910 aux années 50. Les Chantefleurs de Jean Wiéner qui en occupent la plus large partie en sont sûrement la plus belle découverte. Le compositeur y met en musique les poèmes d'un surréalisme léger de Robert Desnos, datant des années d'occupation, dans un style qui n'est pas sans évoquer Poulenc et regarde souvent, avec un sens aigu du pastiche, du côté de la chanson, du folklore et même du jazz (« Pivoine », « La renoncule »), en extrayant la quintessence expressive et l’humour délicat. La variété musicale répond à la fantaisie du poète au fil de ces cinquante miniatures qui tiennent du haikai, par leur brièveté. La plus longue des mélodies dure à peine une minute quinze, mais le musicien parvient même, dans l'une d'entre elles, à utiliser trois styles différents. Le Catalogue de fleurs (1920) de Darius Milhaud joue aussi la carte de la brièveté, mais dans un registre musical plus savant aux harmonies recherchées, et évoque sept fleurs sur des poèmes de Lucien Daudet (le « cher petit » de Proust) qui ressemblent à un prospectus d'horticulteur. Les fleurs d'Erik Satie sur un poème de Patrice Contamine de Latour sont d'un beau lyrisme crépusculaire ; la Nature morte (1917) d'Arthur Honegger met en musique un délicat poème symboliste de Francis Jammes et Les ancolies de Lily Boulanger, s'inscrivent dans la droite lignée de Debussy et de Fauré. Le programme se termine en beauté par une valse chantée, au parfum délicieusement suranné de romance Belle Époque, de René de Buxeuil sur un poème de Suzanne Quintin, L'âme des roses de 1924.

À tout ce répertoire rare et raffiné, Melody Louledjan apporte sa voix au timbre brillant, sa diction parfaite et une délicatesse de touche dans l'expression qui culmine dans le grand cycle de Wiener où pas une mélodie ne ressemble à l'autre et où l'interprète change au gré de l'inspiration ses couleurs et ses intonations pour créer un merveilleux bouquet d'une totale diversité, accompagnée par le piano disert d'Antoine Palloc. Le livret fournit tous les textes et leur traduction anglaise. Les notes « érudites » de la traductrice (à l'intention des anglophones) offrent d'intéressantes vues sur l'inspiration des textes de Desnos, sur ses jeux sur les mots et sur leur arrière-plan sémantique. Elles auraient bien mérité d'être fournies au lecteur français qui n'en aurait que mieux savouré la subtilité de la mise en musique.